Lorsque nous grandissons, nous changeons inévitablement de directions, et cela à plusieurs reprises. On s'imagine un avenir tout tracé, en fonction du présent. Toutefois, aucun d'entre nous ne peut définir avec certitude ce que demain sera. Car entre aujourd'hui et le futur, il y a une marge de plusieurs heures. De longues minutes où les embûches peuvent survenir à chaque instant, tels des fauves guettant une proie solitaire. Ainsi, durant mon enfance, je voulais être élue Reine de la Promotion et devenir une brillante avocate sans scrupule. Donner la vie, un jour, n'était pas une priorité. Pas même plus que trouver le grand Amour qui, pour moi, n'existait pas réellement.

Quand je me regardais dans une glace, tout me semblait bien différent et lointain. Je ne ressemblais plus à l'adolescente mal dans sa peau et triste, avec sa tête toujours baissée et ses vêtements noirs. J'étais devenue une femme élégante, au sourire souvent présent, faisant carrière dans la médecine et maman d'un petit garçon adorable. Comme quoi, rien n'est prévisible. Ni le meilleur de nos vies, ni le pire des moments. On ne sait rien à l'avance et c'est ce qui rend la vie si mystérieuse. Néanmoins, je ne me reposais pas sur mes lauriers. Je ne voulais pas vivre au jour le jour. J'aimais faire des projets ; Je trouvais cela intéressant de suivre une évolution d'idées et d'envies.

Et justement, j'avais planifié la veille de me rendre aujourd'hui même chez mon meilleur ami, Elias, dont je n'avais guère de nouvelles depuis le décès de son père. Il faut dire qu'entre la gestion du club, ses enfants et l'enterrement, rien ne devait être évident. Aussi espérais-je qu'il serait chez lui. Sinon, je n'aurais qu'à faire demi-tour et rentrer à la maison bredouille, ce que je n'espérais pas vraiment.

Je préparai alors Gabriel pour la sortie, même si je pris la voiture. J'avais peur qu'il attrape un rhume, évidemment. Il faut dire qu'il ne faisait guère beau, aujourd'hui. Le temps était même grisâtre, pour ce début d'après-midi. J'installai alors mon fils dans son maxi cosi et nous partîmes dans la direction souhaitée, tandis qu'une vieille chanson passait à la radio. Je fredonnais tranquillement, tapotant sur le volant avec mes doigts. Lorsque j'arrivai, Gabriel était endormi ce qui me fit sourire. Un vrai roupilleur !

Je tâchai alors de soulever le maxi cosi sans réveiller mon enfant et, aussitôt, je me dirigeai vers la porte d'entrée d'Elias. Je frappai alors avec une main contre la bâtisse, mais rien n'y faisait. Pourtant, contre toute attente, la porte était ouverte. Je fronçai alors les sourcils et, inquiète, je me dirigeai dans le hall d'entrée silencieusement. Tout était trop calme, ce qui ne faisait que me rendre plus nerveuse encore. Et c'est en tournant en direction du salon que je vis Elias, dans tous ses états. Je remarquai surtout l'arme à feu, à côté d'une bouteille de whisky presque vide. Mon cœur râta un bond monstrueux et, lentement, je déposai Gabriel sur le sol, toujours endormi. Abasourdie, je lâchai enfin un son. " Elias… Qu'est-ce que tu fais avec cette arme ?! " La dernière partie de ma phrase était un mélange entre incompréhension, colère et désespoir. Il n'oserait quand même pas se donner la mort, n'est-ce pas ? Je pensai alors à ses enfants, tandis que mes yeux noirs le transperçaient. Mon corps restait droit, m'interdisant de bouger. Tout mon être semblait figé de stupeur.