Quand je suis venue m’installer à SF il y a 6 ans, le but premier était de m’éloigner au maximum de la vie que j’avais. Les galas de charités, les œuvres de bienfaisance, tout ces trucs auxquels j’étais forcée d’assister et que je n’aimais pas. Seulement voilà, ce n’est pas parce que tout un pays me sépare de mes géniteurs que je suis pour autant débarrassée de ces corvées. Il est vrai que je n’y participe plus autant qu’avant seulement, quand j’y vais, c’est toujours pour représenter ma « famille », et bien sure, je n’ai pas le droit de refuser mais cela ne veut pas dire que j’y vais de mon plein gré.
Justement, un peu plus tôt dans la journée, j’ai reçu un coup de téléphone de la secrétaire de mon père me disant qu’il faudrait que ce samedi, je me rende au vernissage d’une exposition sur un peintre célèbre. Résignée, j’ai décidé d’aller faire un tour à la bibliothèque pour faire des recherches sur ce peintre et ses œuvres.
Après un rapide tour par la salle de bain, je prends mes affaires et je me dirige vers la bibliothèque. Je sais que je trouverais une tonne d’information et que j’aurais certainement pus les trouver sur le net mais l’avantage des bibliothèques, ce sont les bibliothécaires qui sont les plus enclins à nous aider réellement dans nos recherches.

Je pénètre dans le bâtiment imposant presque timidement et cherche du regard s’il y a une personne qui serait susceptible de m’aider. Rapidement, je repère une jeune fille brune derrière le comptoir et me dirige vers elle. A première vue, elle a l’air occupée avec des livres et donc, je lui signale ma présence discrètement. Ce n’est que lorsqu’elle lève la tête que je lui fais part de ma demande.

- Bonjour, je cherche un livre pouvant me parler de la vie et des œuvres du peintre Manet. Je voudrais quelque chose qui soit assez simple à comprendre mais qui explique bien le travail de l’artiste.
Je souris à la jeune femme tout en espérant avoir été assez claire dans ma demande et j’espère aussi qu’un tel livre existe sinon, je suis mal barrée.

Depuis qu’elle travaillait ici, Noélia avait classé les clients dans plusieurs catégories. Les deux plus utilisées étaient : « les incultes », ou au contraire, « les passionnés ». Bien entendu il y en avait d’autres, mais celles-ci étaient celles qui ressortaient en majorité et qui avaient le don de la mettre de meilleure humeur, ou au contraire de lui taper sur le système. Alors qu’elle enregistrait les derniers retours de livre, quelqu’un signala sa présence. Sans même lever les yeux elle dit avec un sourire aimable une phrase qu’elle répétait sans cesse : « Bonjour, je peux vous aider ». Après avoir terminé l’enregistrement d’un bouquin, elle le repose sur la pile déjà enregistrée afin de pouvoir les ranger ultérieurement. Elle lève donc les yeux vers son client et tombe nez-à-nez avec sa chère demi-sœur. Inutile de préciser dans quelle catégorie de client elle la classait… « Bonjour, je cherche un livre pouvant me parler de la vie et des œuvres du peintre Manet. Je voudrais quelque chose qui soit assez simple à comprendre mais qui explique bien le travail de l’artiste. ». Elle voulait quelque chose de simple ? Elle allait être servie ! Avec un sourire, elle acquiesçait de la tête avant de partir dans les rayons : « Un instant s’il vous plait ». Elle mettait toujours un point d’honneur à ne pas montrer ce qu’elle pensait des clients, alors elle agissait avec elle comme elle l’aurait fait pour une autre personne.

Si elle aurait très bien pu lui donner ce qu’elle souhaitait, elle décidait néanmoins d’en jouer un peu. Après quelques minutes, elle reprit place derrière le comptoir en déposant un dictionnaire ouvert à la page où elle trouverait un court paragraphe sur Manet. « C’est le plus simple que nous ayons. ». Noélia mauvaise ? Non jamais, ce n’était d’ailleurs pas du tout dans sa nature, mais il ne fallait pas trop lui en demander non plus. Elle avait beau être très gentille avec tous ses clients, elle ne pouvait s’empêcher d’agir ainsi avec Heaven. Le simple fait de la voir face à elle la révoltait, mais elle ne pouvait le montrer et encore moins le dire haut et fort, alors elle se défoulait comme elle le pouvait. Qui sait, un dictionnaire lui conviendrait peut-être ? Elle n’était après tout qu’une fille à Papa, elle n’allait pas lui coller un pavé, elle n’aurait pas prit la peine d’en lire la moitié. Ce genre de personne ne savait pas apprécier la lecture d’œuvre à leur juste valeur.

Elle jetait un simple coup d’œil rapide au dictionnaire et lançait : « Merci, c'est gentil de votre part mais je m'attendais à quelque chose d'un peu moins simpliste. Peut-être que vous devriez aller consulter un ORL car j'ai demandé un livre parlant de sa vie et de ses œuvres hors, dans ce que vous me proposer, je ne vois rien concernant "Lola de Valence", "le déjeuné sur l'herbe" ou encore sur "l'exécution de Maximilien" qui sont pourtant certaines de ses peintures les plus connues. ». Bon d’accord, elle s’y connaissait peut-être un peu plus qu’elle ne le pensait, mais il n’en restait pas moins qu’elle restait une fille à Papa pourrie gâté ! Conservant son sourire aimable en toute circonstance, elle prit le dictionnaire que lui rendait Heaven alors qu’elle ajoutait : « Il vous sera plus utile qu'à moi pour rechercher les mots "amabilité" et "serviabilité" qui sont des qualités essentielles de la bibliothécaire et de toute personne dont le métier est d'accueillir du publique. Pour ma part, je vais me débrouiller et j'en parlerais aussi au directeur quand je le verrais samedi soir. ». Non mais pour qui se prenait elle celle là ?! Bon elle admettait qu’elle l’avait un peu cherché mais tout de même. Pour toute réponse elle lui lançait un : « Merci, saluer le de ma part ». Elle croyait vraiment lui faire peur avec ça ? Elle n’aurait aucun problème elle en était certaine, et puis si jamais dans le pire des cas elle en avait, elle n’aurait aucun mal à arranger les choses.

Posant le dictionnaire sur la pile de livre à classer, elle reprit ses enregistrements tout en lançant : « La première étagère à gauche, les deux livres sur le bord droit au milieu : « Voyage à Rio : lettre de jeunesse » vous en apprendront plus sur lui et « Manet et ses œuvres » d’Adolphe Tabarant. Sur la même étagère au centre, le livre rouge avec écrit en doré sur la tranche vous aidera quant à sa place dans le monde de l’impressionnisme. » Hors de question qu’elle aille lui les chercher, elle avait autre chose à faire. Elle ne s’abaisserait pas à elle, elle savait ce qu’elle faisait, et elle en connaissait probablement plus sur les livres qu’une simple bibliothécaire. Après tout, elle était avant tout éditrice, les livres s’étaient son domaine. Finalement elle posa les livres à classer sur le chariot derrière elle, et après un dernier sourire, elle la laissa se débrouiller, elle n’allait en plus lui offrir un GPS pour se diriger dans la bibliothèque.

Horrible, étrange, éprouvante et pénible. Tels étaient les mots qui qualifiaient le mieux cette situation aux yeux de Noélia. Elle se rappelait bien du jour où elle est avait mis la main sur les journaux intimes de sa défunte mère. Si elle avait un peu hésité à les lire au début, elle avait finalement décidé que si elle voulait en savoir plus sur elle et sur sa mère, elle devait les lire. Puisqu’elle n’était plus là, elle se disait qu’elle en avait maintenant le droit. Si cela la rapprocha de sa mère, ça lui fit également prendre conscience qu’elle était désormais plus seule que jamais. C’était également l’occasion pour elle de découvrir l’identité de son père, et la vérité sur son histoire. Qui il était, pourquoi elle ne l’avait jamais connu, comment sa mère avait géré cette situation, bref, savoir une partie de son histoire. Cela ne la ravie en rien pour tout dire. Si elle voulait en savoir plus, elle ne s’attendait pas à lire qu’il était ainsi. Elle pensait en apprendre plus sur l’identité de son géniteur, mais elle s’imaginait une toute autre histoire, jamais elle n’aurait pensé qu’il était comme sa mère l’avait décrit dans ses journaux. Cela la révoltait tout bonnement. C’était décidé, elle allait se venger ! Pour sa mère, et pour elle. Après quelques recherches elle découvrait qu’il avait également deux enfants plus vieux qu’elle. Elle ne tardait pas à retrouver sa fille et c’est ainsi qu’elle se retrouva bibliothécaire à San Francisco. Comme si le sort s’acharnait sur elle, sa très chère demi-sœur, Heaven vint chercher des informations sur Manet. C’était tellement ridicule à ses yeux qu’une fille à Papa s’intéresse à un tel sujet et d’autant plus puisqu’il s’agissait d’elle, Noélia n’hésitait pas à se montrer assez mauvaise avec elle. Après tout, elle le méritait bien.

Elle la laissait donc se débrouiller seule dans ses recherches, et comme si elle voulait la narguer un peu, elle vint s’installer à la table proche du comptoir où elle se trouvait. Il ne manquait plus que ça. Bien entendu elle n’avait pas de place ailleurs mais quand on veut on peut, alors elle pouvait très bien aller s’installer avec quelqu’un plus loin. Décidant d’enregistrer les derniers livres qu’elle avait en main, elle allait ensuite, les ranger dans les étalages, ce n’est qu’à cet instant qu’elle tombait sur un nouveau livre sur ce peintre, comme pour lui rappeler la présence de cette jeune femme. Par souci de professionnalisme probablement, elle allait donc le lui apporter, c’est là qu’elle l’entendit : « Et puis merde, je me demande pourquoi je fais tout ça puisque je n’aurais aucune reconnaissance. Avec eux, c’est toujours la même chose, je dois toujours répondre présente quand ils en ont besoin mais eux, ils n’ont jamais été là pour Thomas et moi. Maintenant, c’est fini, je vais leur montrer ce que je suis devenue à cause d’eux et rien à foutre si demain un scandale éclate à cause de moi. ». Ce fut une sorte d’électrochoc pour la jeune Noélia. Jamais elle n’aurait pensé à ça. Elle s’était toujours dit qu’ils ne valaient pas mieux les uns que les autres dans cette famille, mais finalement l’espace d’un instant elle se dit qu’elle avait peut-être eut tord de tous les mettre dans le même sac. C’était comme si toutes ses certitudes devenaient d’un coup branlante. C’était une sensation étrange. Elle ne semblait pas proche de ses parents, au contraire même. Mieux encore, elle n’hésiterait pas à faire un scandale à cause d’eux. Finalement, elle n’était pas la fille à Papa qu’elle avait imaginé. Déposant le livre à côté d’elle, elle dit alors : « N’attendez pas de reconnaissance, jamais. Certaines personnes en sont incapables ».