Lorsque nous perdons un être cher, celui qui était l'un des plus importants dans notre vie, il n'est pas facile de redresser la tête ou d'arborer un sourire fier ; celui qu'on réserve pour les grands jours. Ceux où rien ne vous semble impossible. Non, ce n'était pas toujours d'une folle évidence que de rester debout sous la pluie, en tentant maladroitement de ne pas trébucher. On reste là, le visage blême, en espérant retrouver un brin de soleil autours de nous. Puis, finalement, la douleur devient une fatalité ; une habitude qui ne parait pas vouloir se défaire de notre âme. Elle nous apprivoise et on finit par l'accepter comme compagne de route ; comme un bout intégrant de nous. Puis, un beau jour, le soleil décide de pointer le bout de ses rayons ; Il s'amuse à nous réchauffer le cœur. L'amertume disparait alors en s'évaporant dans les airs, nous laissant ivre de ce nouveau bonheur qui nous était, jusqu'à lors, défendu.
 
Aujourd'hui, je pouvais affirmer avoir trouvé mon rayon de soleil. La personne en question se prénommait Eve, et je la connaissais depuis plusieurs années, puisqu'elle était toujours fourrée avec mon frère cadet, Adam. Cependant, je n'avais jamais remarqué à quel point elle pouvait être magnifique. Belle, je le savais déjà. Mais l'Amour que j'éprouvais pour Amber à l'époque me semblait indestructible et pour rien au monde je n'aurais renoncé à la douceur de sa peau. Néanmoins, la Mort me l'avait arrachée et je dus apprendre à me résigner. Tomber amoureux n'avait pas fait partie intégrant de mes projets futurs ; sauf que la Vie, une fois de plus, n'en faisait qu'à sa tête.
 
J'avais croisé Eve dans le bar d'Elias, il y a un moment. Elle était seule et elle consommait beaucoup trop d'alcool. Sans savoir ce qu'il me prit, je me suis mis en tête de la protéger d'elle-même afin qu'elle ne fasse aucune bêtise. Elle était ivre et malheureuse lorsque je l'ai amenée jusque chez moi. Malade, elle avait vomi sur ses vêtements malgré que je lui aie tenu les cheveux. Une vision pas très romantique, mais on pouvait prétendre que ça démarrait fort entre nous. Sans me laisser démonter, je lui ai offert l'hospitalité, de quoi dormir et une chemise de mon armoire pendant que ses habits - que j'avais lavés - séchaient. Pendant un moment, je me suis surpris à contempler sa beauté ; fragile et forte à la fois. Un véritable brin de femme ; une fleur qui ne demandait qu'à éclore. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé son potentiel de séduction ; ce qui me fascinait et m'effrayait à la fois.
 
Après cet événement, nous nous sommes revus plusieurs fois. Une relation étrange se tissait entre nous, tandis que les heures passées en sa compagnie me rappelaient à quel point il était délicieux de ne plus se sentir aussi seul que je l'étais ; d'avoir une compagne avec qui rire et me sentir bien. Cela m'avait affreusement manqué, sans même que je ne m'en aperçoive. Et puis, de fils en aiguille, nous nous sommes rapprochés d'une autre manière. Les signes ne me trompaient pas ; je n'étais pas un enfant qui découvrait les sentiments. Au contraire, je savais que j'étais entrain d'en tomber amoureux bien malgré moi ; malgré son jeune âge. Malgré tout ce que la vie pouvait me contraindre, jusqu'à me retenir de goûter au bonheur.
 
Et voilà que nos lèvres se sont touchées il y a un moment maintenant. Le cap de l'incertitude a été franchi et nous avons décidé d'officialiser notre relation, de la concrétiser. C'est ainsi que je me suis retrouvé avec une autre femme qu'Amber, plus jeune certes ; Je ne pouvais oublier le visage de mon ancienne bien-aimée avec qui je projetais le mariage. Ce serait égoïste et prétentieux de parler du contraire. Toutefois, il fallait que je réapprenne à vivre. A profiter de chaque seconde comme si c'était la dernière. Avec Eve, je me sentais bien ; comme dans un petit cocon. Elle me redonnait cette envie qui me faisait tant défaut.
 
Lorsque j'entendis la sonnerie retentir dans ma villa, un sourire niais s'empara de mes lèvres. Je redressai la tête, posant alors ma guitare sur le côté du canapé, en abandonnant mes notes et mes brouillons de composition. L'esprit créatif me revenait gentiment, c'était indéniable. Refermant ma chemise noire et remontant mon jean, je me dirigeai vers la porte d'entrée que j'ouvris en me pressant légèrement, car l'envie de me retrouver auprès d'Eve ne pouvait s'évader de mon esprit. Aussi, je fus agréablement surpris lorsque je la trouvai devant moi, belle comme le jour. Belle comme la vie que je voulais mener dès à présent.
 
« Bonjour. Tu vas bien ? »
 
Si je ne me penchai pas pour l'embrasser, c'est parce que je remarquai que la voisine de ma villa nous épiait d'une manière équivoque. Un sourire narquois apparut sur mes lèvres, tandis que je levai la main pour la saluer gentiment en agitant cette dernière. Reportant mon attention sur la jeune femme qui faisait battre mon cœur, je me poussai un peu sur le côté pour la laisser passer et, ainsi, accéder à l'intérieur de ma demeure.
 
« Entre seulement. »
 
Je n'avais pas honte de me montrer avec elle ; mais je craignais surtout que les ragots aillent plus vite que je ne me l'imagine et que, bien malgré nous, cela revienne aux oreilles d'Elias et Adam. Je voulais leur en parler, certes. Sauf que je voulais le faire de vive voix, ne rien leur dissimuler. Une fois qu'elle fut entrée dans la villa, je refermai la porte derrière nous. Aussitôt, je lui pris la main et je l'embrassai chastement. J'avais envie de passer beaucoup de temps à l'aimer et la dorloter ; c'était dans ma nature "romantique". Je la regardai dans les yeux, timidement.
 
« Tu m'as manqué. »
 
Lui murmurai-je dans un souffle, tandis que ma main vint replacer une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Oui, j'en étais amoureux. La différence de notre âge ? Je m'en moquais. Eve avait quelque chose dans la tête, elle était plutôt mature pour son âge. Je ne doutais pas que, si on s'en donnait les moyens, notre relation pouvait être durable et ensoleillée. Et cette perspective ne me laissait pas indifférent.
 

Spoiler:

Lorsqu'une relation vient de naître, certains pensent qu'elle est merveilleuse mais fragile à la fois. Merveilleuse car les défauts n'apparaissent pas encore et nous redécouvrons le mot "aimer" auprès du cœur de l'autre. Fragile, parce que le recul de la relation n'est pas encore présent et que, finalement, la compatibilité amoureuse n'est peut-être pas aussi forte que l'on aimerait s'en persuader. Personnellement, j'avais pris la résolution de ne pas trop brusquer les sentiments et les gestes, d'apprendre à la connaître pour être sûr de ne pas commettre l'irréparable. Car, si elle était ma petite-amie, elle était également la meilleure amie d'Adam. Une rupture mêlée à de la rancœur pouvait toucher mon petit frère et le blesser, selon les rapports entretenus. Et cela, je souhaitais l'éviter. Bien entendu, je n'avais pas envie de mettre un terme à ma relation avec Eve ; Toutefois, la réaction de mes proches me préoccupait tout de même. C'est pour cela qu'il faudrait que j'en parle, le temps qu'on soit sûr de notre relation avec Eve. Et ensuite, nous aviserons pour ne négliger personne. Tout se passerait bien, si on s'en donnait les moyens. Le temps au temps, naturellement.
 
« *Tu m’as manqué aussi* »
 
Je la blottis contre moi, sentant sa chaleur humaine. Bon sang, cela faisait si longtemps que je n'avais pas éprouvé ça… Je me sentis extrêmement chanceux, et flatté, d'avoir une si charmante créature à mes côtés. A croire que Dieu ne m'avait finalement pas autant oublié que cela et que, moi aussi, j'avais droit au mot "bonheur". Ce qui me ravissait d'autant plus.
 
« *Tu composais ? **Il m’a semblé entendre de la guitare quand je suis arrivé.*»
 
« Oui. Du moins, j'essaie. »
 
Répondis-je, amusé. Effectivement, j'étais d'humeur à tenter quelques nouveaux morceaux ; des accords de guitare parfois maladroits. Toutefois, j'avais la chance d'être mon seul patron et de gagner confortablement ma vie, même pour les périodes creuses. Je ne dépendais de personne, à ce niveau-là. Malheureusement, mon métier impliquait que, lorsque l'inspiration était présente : il ne fallait pas la laisser s'envoler. Du coup, je pouvais passer des nuits entières avec mes instruments et mes idées. Puis, pendant un mois : le vide. Plus rien d'intéressant.
 
« *Tu sais comme je t’envie. J’aimerais savoir composer, écrire de jolie mélodie qui vont sur des chansons à vous faire pleurer…* »
 
« Tu sais, ce n'est pas toujours facile. Composer, c'est aussi apprendre à donner son âme en pâture aux lions. C'est l'artiste qui a le dernier mot. Mais c'est vrai que j'adore ce que je fais. »
 
Ah, le show-business ! Quel monde impitoyable. Il fallait admettre que les groupes devenaient de plus en plus commerciaux, de nos jours. Heureusement, certains artistes gardaient une âme véritable et l'amour de la chanson, la passion de transmettre ses émotions en touchant les gens jusqu'au plus profond d'eux-mêmes. Mes songes furent coupés aussitôt par le baiser d'Eve, que je savourai.
 
« *Sur quoi aimes-tu composé ? Tu es plutôt mélancolique ? Ou romantique ? * »
 
J'adorais son intérêt pour l'autre. Elle avait ce don de toujours se préoccuper des autres ; Un peu comme moi. Sans doute était-ce pour cela que nous nous entendions si bien, tous les deux. J'eus un sourire charmeur à ses questions. Je l'embrassai alors langoureusement ; Parce que j'en avais très envie. Puis, reprenant mon souffle, je caressai sa joue et remis une mèche de ses cheveux en place, derrière son oreille.
 
« Ca dépend de ce qui m'inspire. Généralement, j'essaie de vivre l'émotion que je veux transmettre dans mes compositions. Si je suis heureux, ce n'est pas la peine de vouloir une mélodie et des paroles sombres. » Je déposai alors un furtif baiser sur ses lèvres. « Mais il semblerait que, ces temps, je sois sur un petit nuage. Alors on va dire que je travaille sur des chansons d'Amour. Plutôt romantiques… »
 
Un sourire taquin apparut sur mes lèvres, tandis que mes grands yeux océan se plongèrent dans les siens. Une déclaration camouflée par quelques paroles bien tournées ? C'était assez moi, typiquement. Lentement, je lui pris alors la main et je l'attirai dans le salon, là où se trouvaient quelques feuilles griffonnées et ma guitare.
 
« Tu veux quelque chose à boire ? Ou même à grignoter ? »
 
Lui demandai-je gentiment, tandis que je l'invitais à s'asseoir sur le canapé en lui présentant d'un revers de main, accompagné d'un mouvement de bras très calme. J'étais assez bien élevé, mais j'avais aussi cet esprit taquin. Ce n'était jamais bien méchant, en fin de compte. Et puis, cela me faisait du bien de rire. Surtout que j'avais traversé tant d'épreuves, ces derniers mois.
 
« Raconte-moi. Comment tu vas ? »
 
Je me préoccupais d'elle comme de la prunelle de mes yeux. Il faut dire qu'elle avait pris rapidement une place dans mon cœur ; Ce qui ne m'effrayait pas réellement. J'étais même heureux.

L'amour est un sentiment que nous ne contrôlons pas. Celui qui prétend l'inverse doit manifestement être fou ou bien trop scientifique pour croire à la magie d'un tel sentiment. Fort heureusement pour moi, j'étais un Artiste rêveur au cœur un peu trop grand et généreux. Ainsi, je n'avais jamais cessé de croire que tout était possible. Lorsqu'Eve apparut comme une évidence à moi, lorsque je songeai à construire une nouvelle relation avec elle, je n'avais pas essayé de calculer les pours ou les contres. Naturellement, je savais que ce ne serait peut-être pas facile pour tous mes proches. Après tout, elle était la meilleure amie de mon petit frère, Adam, et je redoutais son avis. Toutefois, je ne pensais pas qu'il me demande d'arrêter. Il me connaissait suffisamment pour savoir que je ne prenais pas ce genre de décision à la légère. Si j'étais avec elle, c'est parce que mes sentiments s'avéraient des plus sincères possibles, en dépit de la différence d'âge que certains trouveraient trop "grande". Moi, je n'y prêtais pas attention. Elle n'était pas la gamine de vingt ans qui ne savait pas où aller. Non, Eve était bien plus mature que cela. Sa personnalité me marqua au fer rouge. Son côté fragile et brisé me donnait envie de la serrer contre moi sans jamais oser m'en détacher. Pourtant, il le fallait bien.

« Aurais-je le droit d’écouter tes compositions… un jour ? »

« Quand tu voudras. »

Lui répondis-je doucement, avant de l'attirer dans le salon par la main, en lui proposant quelque chose à boire, l'invitant à s'asseoir sur le canapé et à me raconter son état d'esprit. Il fallait admettre que je me préoccupais d'elle. Sinon, ce ne serait pas de l'Amour, mais de l'Egoïsme. Et je ne me pensais pas être dans la deuxième catégorie de personne. Un sourire naquit sur mes lèvres, tandis que je la toisai de haut en bas, avant qu'elle ne me dise ce dont elle avait envie.

« Je veux bien un café »

Ni une ni deux, avec un grand sourire, je me dirigeai vers la cuisine où je mis la machine en marche. Ma chienne, Kimy, dormait dans son panier. Elle releva la tête et je vins lui caresser cette dernière, avant qu'elle ne se recouche. Lorsque la machine eut finit de se mettre en route, je me dirigeai vers elle pour préparer les deux tasses. Pendant ce temps, Eve commença à me parler de son état d'esprit.

« Je vais bien. J’ai vu … »

Elle marqua une pause, ce qui me fit tourner la tête en sa direction. C'était étrange qu'elle s'arrête ainsi de parler ; comme si elle réfléchissait à la tournure de sa phrase. Cela devait être important. La machine eut terminée les cafés, alors je pris une planche, posant les sous-tasses et les tasses, avec la crème à café et le sucre. Alors que je me dirigeais vers elle, elle continua enfin.

« J’ai vu Adam. Notre relation était déjà compliquée avant… mais je ne sais plus comment me comporter vis-à-vis de lui. Il est si distant. Tu crois qu’il sait quelque chose ? »

Je posai les affaires sur la table basse du salon, poussant mes quelques feuilles, avant de la regarder dans les yeux et de m'asseoir à ses côtés, tout en la fixant continuellement. Ma langue passa sur mes lèvres, tandis que je me mis à réfléchir à mon tour à la situation. C'est vrai qu'elle venait de perdre sa mère et Adam semblait ailleurs. Toutefois, je doutais sincèrement qu'il sache quoique ce soit à propos de notre relation. Fronçant les sourcils, je pris l'un des cafés et mis deux morceaux de sucre dedans pour moi, avec un peu de lait, avant de me retourner vers la jeune femme.

« Je ne sais pas vraiment pourquoi il est distant avec toi, mais je ne pense pas qu'il se doute de quoique ce soit concernant notre relation. »

Je me redressai alors, remarquant que j'avais oublié les cuillères dans la cuisine. Aussitôt, je décidai de m'emparer des objets et de revenir auprès de ma belle. Je déposai une cuillère sur la table basse, vers son café, tout en mettant la mienne dans ma tasse. Je la pris dans mes mains et touillai le contenu liquide, pensif. Puis, je bus une gorgée du nectar, avant de la regarder à nouveau dans les yeux.

« De toute façon, il va falloir que j'en parle à mes frères. Je n'ai pas envie de me cacher éternellement. J'aimerais pouvoir t'aimer au grand jour, devant tout le monde. Mais pour ça, il faut que je les mette au courant. Et à mon avis, on ferait mieux de se dépêcher avant qu'ils ne l'apprennent par des rumeurs… »

Oui, parce que je n'étais pas idiot. Je savais que les gens du quartier n'hésitaient pas à parler de cette relation avec incompréhension ou médisance. Heureusement, d'autres comprenaient et se moquaient bien de ce que les voisins pouvaient songer. Après tout, chacun avançait comme il le voulait dans la vie. Et moi, je voulais marcher avec Eve.