Ce matin, tout semblait bien se passer pour moi. Les nausées matinales avaient disparu aussi subtilement qu'elles étaient survenues lors de mes premiers mois de grossesse. Aujourd'hui, j'attaquais le cinquième mois. Personne ne pouvait prétendre ne pas remarquer mon imposant bidon où ma progéniture se cachait, bien au chaud. Avec ma blouse blanche, mes cheveux attachés et mon stéthoscope, j'avais de quoi attiser les regards. Bien entendu, je débordais de vitalité mais je m'essoufflais très vite. Si vite que mes collègues avaient décidé d'être au petit soin pour moi. J'aurais pu en profiter, certes, mais ce n'était pas dans ma nature. Aussi n'arrêtais-je pas de disputer mes amis de travail afin de leur préciser que mon état n'était pas une maladie ; mais rien à faire. Ils me maternaient comme si j'étais une enfant, alors que j'attendais moi-même un bébé. Souvent alors, je souriais et exécutais une bonne contenance devant eux. Si je me sentais si bien, c'est parce que j'avais pu entendre le cœur de mon petit Ange battre lors de l'écographie. Le sexe n'était pas encore totalement formé et, par mesure de sécurité, je n'avais pas demandé à la savoir.

Assise sur un fauteuil gris dans la salle d'attente de gynécologie, je caressais mon petit ventre rondelet et je chantonnais une berceuse à ma progéniture. Parfois, je recevais un coup de pied ou je sentais l'enfant bouger en moi ; ce qui avait le don de m'émouvoir. J'étais seule dans la pièce, coupée du monde, avec la personne qui comptait le plus à mes yeux, bien caché dans mon être. Je souriais, inconsciemment, animée par le bonheur d'être bientôt maman. La porte s'ouvrit alors, et j'aperçus mon amie Beth, gynécologue d'ailleurs – ce qui s'avérait être pratique.

« Hey, Jailyn ! Entre. Tu vas bien ? »

« Bonjour Beth. Bien, et toi ? »

Demandai-je en me redressant de la chaise. Mon amie opina d'un hochement de tête gratifié de son habituel sourire, tandis que je pris place dans son entre. Je me déshabillai et m'allongeai sur la table afin qu'elle puisse mettre le fameux gel – un peu froid d'ailleurs – qui me permettrait de voir mon enfant sur un écran. Tout avait l'air en ordre et ce fut un grand soulagement.

« Tu veux connaître le sexe du bébé ? »

« Oui… »

J'étais un peu tendue, nerveuse et excitée à l'idée de savoir ce que la Nature avait décidé de m'offrir en cadeau. Mon sourire ne laissait rien transparaître et je laissai mon amie m'examiner, tandis que mon cœur s'accélérait encore et toujours sous le poids de l'émotion. Je voulais savoir, piquée d'une curiosité étonnante. Pourtant, en surface, j'avais l'air aussi paisible que l'eau d'une rivière.

« C'est un petit garçon, Jai ! Félicitation ! »

Je faillis me décrocher la mâchoire, alors qu'elle pointait du doigt le sexe de l'enfant sur son écran. J'étais émerveillée et, instinctivement, je posai mes mains sur mon ventre ; de manière à ne pas toucher le gel. Mon sourire sincère apparut sur mon visage, tandis que je contemplais mon bidon qui devenait imposant. J'étais heureuse et très émue, surtout.

« Je t'aime déjà tellement… »

Murmurai-je entre mes dents, à l'intention de mon fils. Oui, désormais je savais. Ce sera un petit garçon et je ne doutais pas de sa beauté. A ce moment là, je sentis une larme de joie perler sur ma joue. J'effaçai les traces du revers de ma main, sans oser me détacher de mon ventre. Comme si, subitement, j'allais redevenir mince et sans bébé… Je ne pouvais pas le concevoir. Plus maintenant, du moins. Je savais que je serais là pour lui, quoiqu'il advienne de mon avenir. Il serait l'amour de ma vie, mon essentiel ; le centre de mon univers. Rien ne comptait plus pour moi que lui, désormais. J'avais de la tendresse à lui donner. Je redressai alors mon regard sur Beth. Nous nous mîmes à parler des choses de la vie. Elle, elle s'était mariée très jeune mais n'avait pas pu avoir d'enfant avec son premier mari, ce qui les avait conduits à se séparer. Puis elle avait rencontré son fiancé actuel et tout se passait bien. Moi, je n'étais même pas en couple. Un frisson me parcourut l'échine tandis que je repensai à une personne en particulier. Puis un soupire s'échappa de mes lèvres tandis que je songeais en me rhabillant. Après quelques minutes, je partis de la pièce en mettant une main sur mon ventre, protégeant mon garçon. Personne ne pouvait me le voler, certes, mais je voulais le préserver. Je me jurai alors que sa vie serait aussi belle que possible ; remplie de milles saveurs douceâtres.

Je remarquai alors les regards interrogateurs de mes amis les plus proches au sein de l'hôpital. Trois d'entre eux vinrent vers moi, admirant mon ventre. Beth les rejoignit et me toucha le ventre, en souriant ; elle qui rêvait d'avoir un enfant, je l'avais devancée. Nous restâmes ainsi, les cinq médecins ensemble, à papoter "couches". Sauf que, subitement, on fut tous appelés sur nos bippers. Les urgences nous réclamaient pour des cas conséquents qui allaient arriver. Aussitôt, nous filâmes en courant dans le lieu de toutes les horreurs, nous vêtissent d'une combinaison de protection jaune ; au cas où. Le cœur battant, nous attendions les interventions qui nécessitaient nos compétences. Y'aurait-il un cas de cardiologie ? Ce fut le cas. Alors ma poitrine se gonfla d'air avant de me tourner vers les internes et les résidents de ma section. Un hochement de tête et nous fûmes tous partis pour récupérer les personnes blessés et tenter par tous les moyens de leur sauver la vie ; Oui, on les empêchait de mourir. Nous étions la frontière entre guérison et repos éternel.

Après plusieurs heures d’intervention intensive, je me retrouvai sur les rotules. L’angoisse n’était pas le meilleur moyen de se faire des points en étant enceinte. L’opération avait réussi pour la plupart des blessés ; toutefois, certains ne s’en sortiraient probablement pas. Mon patient allait s’en remettre. Pour sa fiancée, ce serait une autre histoire. Le temps nous guiderait sur sa destinée. Lessivée par tant de travaux intensifs, je fus bien obligée d’admettre qu’une pause s’imposait. C’est donc avec une certaine fatigue que je me rendis sur la terrasse de la cafétéria, le coeur lourd. Je revoyais le sang qui dégoulinait des corps, les larmes qui allaient suivre lorsque nous annoncerions les mauvaises nouvelles sur les interventions. Je repensai alors à la fille de dix-sept ans qui finirait ses jours paraplégique. Un goût amer me parvint dans la bouche, mais je le réprimai en l’avalant. Me perdant dans la contemplation des jardins de repos extérieurs à l’hôpital, je ne remarquai pas la présence d’un homme ; ni son parfum que je connaissais d’ordinaire si bien.

« Ca t’arrive d’appeler pour donner des nouvelles ? »

Mes yeux se détournèrent pour apercevoir la silhouette si connue d’Elias Taylor ; un ancien patient que j’avais sauvé, qui était devenu mon meilleur ami et avec qui j’avais partagé une nuit. Je fus surprise de sa venue, tant et si bien que ma bouche s’entrouvrit et mes yeux durent s’écarquiller sous le poids des émotions diverses qui me giflaient le visage.

« Et toi ? »

Il prit place en face de moi, s’autorisant une fois de plus à chavirer mon univers. Il était bien l’une des rares personnes que je m’attendais à croiser ici aujourd’hui. Machinalement, comme pour me protéger de mes propres émotions, mes mains descendirent de la table pour venir se poser sur mon ventre. Cinq moi, ce n’était pas négligeable au niveau visuel. Tout le monde pouvait donc remarquer avec aisance ma grossesse. Mais assise, cela ne paraissait pas autant que si je me mettais debout ; bien évidemment. D’ailleurs, je ne remarquai que le léger sourire d’Elias. Une fois de plus, il ne remarquait rien. Absolument rien.

« Je t’offre un truc à boire, café ou autre ? »

« Un thé, volontiers. »

Répondis-je simplement, d’une voix totalement neutre. Soudain, je remarquai que son attention se porta sur la vitre, juste à nos côtés. Ma tête suivit le mouvement et j’aperçus mon ventre arrondit. Un léger sourire parut sur mon visage, heureuse de me voir dans la glace avec ce petit être dans mon ventre. Mais le visage déconfit de mon ami me rappela qu’il n’était pas au courant, une fois de plus. Le coeur battant à me faire exploser la poitrine, je détournai mon visage pour regarder Elias qui enfonça ses magnifiques yeux bleus profondément dans les miens. Il n’avait pas l’air enchanté. Décidément, cette grossesse improvisée ne réjouissait pas tout le monde.

« Tu comptais me le dire quand ? »

Il passa une main sur son visage, avant de s’affaler dans son siège, tout en me fixant. Je reconnaissais bien là le caractère de mon ami. Pourtant, n’était-ce pas moi qui portait un enfant d’un homme qui s’en moquait éperdument et qui était tombée amoureuse alors que cela lui était parfaitement interdit, se retrouvant seule devant un choix cornélien ? La vie ou la mort. En temps que médecin, j’avais repoussé la mort de nombreuse fois. Le choix fut évident : je me devais de le garder. Poussant un léger soupire, je rabaissai mes yeux sur mon ventre rond, tout en le caressant. Puis, je redressai mon regard sur Elias et je détachai mes cheveux ; un geste nerveux qui consistait à me cacher le visage, peut-être bien. Pourtant, je ne devais pas avoir honte.

« Quand l’occasion se présenterait. Tu as une vie bien remplie et la mienne l’est également. Et puis, je ne voulais pas t’embêter avec une grossesse non-désirée. Bien que, finalement, j’en suis très heureuse. »

J’avais été très neutre, affrontant son regard océan sans faillir. Mon caractère s’affirmait de jour en jour, depuis que j’avais dû affronter les mots du père de mon enfant. Durant mon enfance, je m’étais écrasée. Maintenant, c’était terminé. J’étais forte. Suffisamment pour protéger mon fils envers et contre tout ; j’étais capable de me transformer en monstre s’il le fallait. Même montrer les dents aux gens que j’aimais le plus au monde ne m’aurait pas freinée. Je souris timidement, reposant mon regard sur mon ventre rond ; mais très vite, je redressai mes yeux dans ceux d’Elias, pleine de détermination.

Les sentiments que je portais à Elias étaient bien réels, en dépits de tout ce que je pouvais prétendre pour protéger mon enfant. A ce moment, je me demandais à quoi je jouais. Me montrer aussi distante et méfiante à l'égard de mon ami le plus proche ne me ressemblait guère. J'aurais pu prétendre à une réaction naturelle à cause des hormones, mais cela aurait été mentir. D'un côté, je me voilais le visage en espérant qu'il ne s'aperçoive jamais de rien ; qu'il ne me voit que comme "la gentille amie".
 
Cela me rappela l'histoire d'Ondine ; version originale de la petite Sirène de mon enfance. Elle avait sauvé un homme de la noyade et accepté de perdre sa voix pour trouver l'usage de jambes afin de le rejoindre sur Terre. Toutefois, chaque pas devenait une véritable torture. Les mouvements qu'elle exécutait se transformaient en la sensation affreuse d'avoir des couteaux plantés dans les jambes. Mais pour lui, qui finit par la recueillir, elle apprit à danser, à rire, malgré toute la douleur du monde. Puis, un jour, il lui annonça qu'il se marierait avec une jeune femme qui ressemblait beaucoup à sa sauveuse, dont il n'avait guère de souvenir précis. Ondine, terrassée de n'être que son amie à ses yeux et qu'il ne sache jamais la vérité, se jeta dans l'eau le soir du mariage, sous l'œil de son père et de ses sœurs restés dans l'océan. En mourant, elle s'éleva dans les airs et retrouva sa voix pour devenir un Ange. Finalement, son Amour sacrifié lui vaudra une éternité de plénitude dans le Ciel.
 
J'avais toujours aimé ce conte, même s'il paraissait bien tragique. Cela me rappelait sans doute ma vie ; surtout auprès d'Elias. Un homme qui avait tout pour lui et qui était tombé amoureux d'une serveuse très belle. Jalouse ? Forcément. Mais je ne pleurerais pas. Désormais, j'avais un fils à élever dans un futur proche et je devrais me montrer forte. Bien sûr, je savais qu'Aaron jouerait un rôle dans son éducation. Il n'était pas prêt à délaisser totalement sa progéniture. Au fond, j'espérais qu'il veillerait sur lui. Toutefois, je ne pouvais compter que sur moi-même : une femme au cœur brisé qui allait donner la Vie à un petit être.
 
La réaction d'Elias me surprit, en quelque sorte. Lui non plus n'avait pas donné de nouvelle ; alors pourquoi me le reprocher ? C'était autant sa faute que la mienne. Je ne cherchais pas d'excuse ; seulement à établir une sorte de vérité. La serveuse apporta nos commandes. Elias avait pris un café ; moi un thé à la vanille. J'appréciais toujours le goût sucré et fin de cet arôme. Ma mère me faisait souvent du thé, l'après-midi. Étonnement, même qu'il s'agissait des mêmes sachets que lors des réceptions mondaines ennuyeuses de mon enfance, celui de ma mère était toujours meilleur. Je la soupçonnais d'ajouter un petit quelque chose dont elle gardait le secret. Mais je n'eusse jamais trouvé. Une fois, avec Camelia, on avait décidé de faire un thé nous-mêmes avec les herbes du jardin. Nous avions provoqué une véritable catastrophe pour les papilles ! Cela n'avait que le goût de la terre et d'autres immondices. Maman avait ri aux éclats devant notre bêtise tout en nous préparant son thé aux fruits des bois déjà en sachet. Bien sûr, c'était une blague d'enfants et nous étions dotées de bonnes intentions envers nos parents ; sauf que nous avions manqué d'empoisonner toute la famille.
 
Je regardais alors ma tasse arrivée et je gratifiai d'un léger sourire la serveuse, tandis qu'Elias semblait ailleurs. Comme triste, en fait, d'apprendre la vérité sur moi. Je n'étais pas un Ange, loin de là. J'essayais d'agir au plus juste, mais je n'étais qu'une Humaine capable de se tromper sans arrêt.
 
« Comment ça pas désirer ? Tu es enceinte de combien ? »
 
Une petite moue dubitative apparut sur mon visage. Pouvait-il seulement penser que j'avais désiré une grossesse à ce stade de ma vie ? J'étais chirurgienne et célibataire. Un bébé n'était pas la meilleure solution pour me trouver quelqu'un. Toutefois, le tuer me parut impossible, tout simplement. J'organiserais ma vie différemment, voilà tout. Un sourire s'installa sur mes lèvres, tandis que je regardais Elias.
 
« Cette grossesse est un accident. Mais tuer le bébé n'était pas concevable pour moi, alors je l'ai gardé. Même si le père n'était pas très content, forcément. »
 
Répondis-je doucement, en repensant à Aaron. Il avait beau être un trafiquant et ne pas être le meilleur des hommes, je ne pouvais m'empêcher de m'en vouloir de lui imposer cet enfant. D'un côté, je m'étais préparé à ce qu'il n'accepte pas ma grossesse et ne veuille pas entendre parler du bébé. Toutefois, il semblait bien décidé à ne pas l'abandonner totalement.
 
« Je suis enceinte de cinq mois, maintenant. »
 
Mo calme olympien n'était qu'un masque. Au fond de moi, j'étais nerveuse. J'appréhendais sa réaction comme une petite fille prise en faute. Sauf que cela n'avait rien à voir avec une faute. Non. Il s'agissait plutôt du fait que j'étais éperdument désespérée lorsqu'il s'agissait d'Elias Taylor. Intérieurement, je me maudissais de l'apprécier autant. J'avais même du mal de me l'avouer ; c'est pour dire mon état quand je me retrouvais face à lui. De toute façon, Amour rimait avec malheur pour moi. Ou déception. J'étais habituée à cette idée de célibat éternel, finalement.
 
« Qui est le père ? »
 
Je pris le sachet de ma tasse et je le trempai plusieurs fois, avant de le serrer au dessus du liquide et de le poser dans le petit récipient qui servait aux déchets de ce genre. Je ne savais pas si je devais lui révéler son identité. Elias travaillait dans la police, auparavant. Je pensais bien qu'il connaissait, ne serait-ce que de nom, le père de mon enfant. Nerveuse, tout en regardant ma tasse, je pris une inspiration légère et je redressai ma tête, faisant face aux yeux sublimes d'Elias. J'étais déstabilisée par son regard, certes, mais je faisais mine de rien comme une idiote. Essayant de sourire, je me tâtai à répondre.
 
« Il s'appelle Aaron. Aaron Carter, plus précisément. »
 
Je baissai aussitôt mes yeux sur la tasse à thé. Prenant ma cuillère, je la fis tournoyer dans une espèce de tourbillon, avant de la reposer et de prendre une gorgée du liquide aromatisé à la vanille. Je n'avais pas encore regardé Elias, par crainte de sa réaction.

D'abord, je me demandais si Aaron et Elias pouvaient se connaître. Je n'en étais pas sûre le moins du monde, ne soupçonnant même pas ce qui avait pu se tramer entre eux. Pour moi, révéler l'identité du père était synonyme d'anonymat ; comme si Elias ne pourrait pas mettre de visage sur lui. Peut-être avait-il eu affaire à lui lorsqu'il était encore dans la police, avant son saut imminent à l'hôpital ? Etant donné la nature de l'argent d'Aaron, cela n'avait rien d'impossible. Un sentiment de honte me prit à la gorge, tandis que je regardais le tourbillon se former dans mon thé. Monsieur Carter n'avait rien d'un père ou d'un petit-ami formidable ; bien loin de là. Pourtant, je me plaisais à penser que lui accorder le bénéfice du doute était une idée convenable. Après tout, je l'avais connu enfant et adolescent. A cette époque, il me paraissait bien inoffensif. Je devais avouer que, désormais, il m'effrayait un peu. Toutefois pas assez pour que je me laisse démonter par son regard meurtrier ou sa folie. A l'annonce de ma grossesse, je lui avais fait face. Il m'avait promis d'être le père de mon bébé, quoiqu'il puisse m'arriver. Il avait, peut-être, un bon fond finalement ? Cet enfant le rendra peut-être heureux ; ne serait-ce qu'un peu. Ma main se posa sur mon ventre arrondi. Je pouvais sentir mon fils bouger ; une sensation agréable, même merveilleuse. Pourtant, je me sentais seule parfois. Personne d'autre, à part ma famille et mes proches, n'osait poser ses mains sur ce ventre rond. J'espérais sincèrement qu'un jour il aurait plus de mains tendues qu'actuellement. Sinon, je redoublerai d'Amour pour lui et je l'aimerai inconditionnellement jusqu'à la fin de mes jours. C'est ça, être mère, après tout. Perdue dans mes pensées, la voix d'Elias me ramener au présent ; moi qui me perdais dans le futur.
 
« Tu te fous de moi là Jay… Tu sors avec ce type… Tu sais qui il est et ce qu'il fait ? »
 
Aussitôt, ma tête se redressa et je fus un peu surprise par le ton employé par mon ami. Il ne l'aimait vraiment pas, visiblement, et je ne savais pas pour quelle raison. En tous cas, il était au courant des manigances de ce cher Aaron, ce qui me rappela à quel point Monsieur Carter pouvait être effrayant. Toutefois, je portais sa progéniture et je savais qu'il n'oserait pas me toucher ; ne serait-ce que par rapport à son passé. Il ne voulait pas reproduire les erreurs que son propre père avait commises avec lui. Cela me rassurait quelque peu sur ses intentions de protection envers mon fils. Le nôtre, finalement. Je grimaçai un peu en regardant Elias. Si je savais ce qu'il faisait et qui il était ? Oui, malheureusement. Mais c'était trop tard pour revenir en arrière. Et puis, Aaron qui préconisait tellement la mort m'avait offert le cadeau le plus précieux au monde : donner la vie à un enfant. Aussi, cela ne m'aidait pas à rester objective.
 
« Je suis désolé de ma façon de parler mais là je ne eux pas faire autrement pas quand il s'agit de lui… »
 
Je sentis alors dans le regard d'Elias qu'il en voulait vraiment à Aaron. Avait-il été victime d'un de ses plans pour gagner plus d'argent ? Après tout, là était la folie d'Aaron Carter. Le père de mon fils. Néanmoins, je restais calme. Silencieuse dans un premier temps, cherchant quoi dire à mon ami. Touchant la tasse avec mes mains, sur son côté, je le regardai dans les yeux. Cette fois-ci, je m'adoucis.
 
« Ce n'est rien. »
 
Répondis-je d'une voix basse. En fait, je lui pardonnais sans même comprendre la raison pour laquelle il m'avait un peu brusquée. Prenant une gorgée de thé pour m'éclairer la voix, je finis par reposer la tasse sur la sous-tasse tout en continuant d'observer Elias. Il méritait quelques explications, et je crois que j'en méritais tout autant.
 
« Je ne sors pas avec lui, Elias. Aaron et moi, on s'est connu enfant. Il y a cinq mois, je l'ai retrouvé et nous avons discuté. Puis on est allé dans un bar et on a beaucoup trop bu. La suite, tu t'en doutes. Je ne l'ai revu qu'une seule fois, pour lui annoncer ma grossesse. Je ne lui ai pas laissé le choix de le garder ou non, ce qui ne lui a pas plu, forcément… Mais tu sais comme je suis. Jamais je n'aurais pu tuer mon bébé. ; peu importe qui est le père. Ce qui m'a le plus surprise, c'est qu'il tienne à être le père de cet enfant. Je ne peux pas lui interdire ça, tu sais. Même si je sais qu'il traîne dans des affaires louches. Bien que, honnêtement, je ne lui ai pas demandé de détails. »
 
Rien que d'imaginer ce dont il était capable de faire me donnait la chair de poule ; c'était plus fort que moi. Comme si je venais d'attraper un courant d'air dans le dos, mes poils se redressèrent et je parcourus mes bras avec mes mains, pour les réchauffer quelque peu, avant de reprendre une gorgée de thé. Décidément, ce que faisait Aaron ne me plaisait absolument pas. Mais l'éloigner de notre enfant reviendrait à me destiner à mourir, je le craignais bien. Et laisser mon enfant à Aaron pour toujours ne me plaisait pas vraiment. Bien sûr, je savais qu'il serait en sécurité avec lui ; qu'il le protégerait envers et contre tout. En somme, je me retrouvais bien mitigée sur le père de mon enfant.
 
« Comment tu le connais, au fait ? »
 
La curiosité m'avait piquée malgré moi. J'avais toujours pour habitude de ne pas poser trop de questions et de rester très calme. Seulement, je me rendais nerveuse avec cette histoire. Si Elias ne le supportais pas, c'est qu'il avait une raison. Une raison que je ne pouvais pas imaginer une seule seconde. Et cela m'effrayait à mon tour. Le savoir mêlé à Aaron Carter me rendait très anxieuse ; après tout, j'éprouvais des sentiments très forts pour Elias. S'il lui arrivait quelque chose, je ne m'en remettrais pas.

Mes yeux noirs se baladèrent sur l'assistance autours de nous. Il y avait énormément de personnes en  blouse blanche, comme moi. Tous des collègues, des amis, des connaissances, des supérieurs, des internes, des externes, des petits nouveaux, des anciens… L'hôpital était un peu comme ma famille. Une grande famille composée de plusieurs types d'individus qui, en dehors des vêtements couleur neige, n'avaient pas forcément beaucoup de points communs. Toutefois, nous exécutions la même profession ; Nous avions les mêmes inspirations : Nous voulions sauver des vies. Rendre le monde un peu moins noir. C'est ainsi que mon sourire "forcé" quotidien avait fait son apparition. Il réconfortait les plus malades, leur donnait une lueur d'espoir dans les ténèbres. J'avais ainsi appris à masquer mes émotions, à rester toujours dans une apparence positive pour ne pas péjorer mes patients par mes humeurs. Heureusement, mon caractère calme avait un côté très sain là-dedans puisque c'était en partie grâce à lui que je ne flanchais pas dans les moments de colère ou de déception. Ca, c'était ma vie au travail. Mon quotidien de dur labeur. Mais lorsque je me retrouvais en face d'Elias, mon ami le plus proche sans doute, je perdais quelques fois mes moyens, oubliant la femme médecin que j'étais pour ne devenir qu'une simple femme. La nuit passée ensemble, je ne l'avais pas oubliée. Elle demeurait là, dans un coin de ma mémoire. Néanmoins, je savais que cela restait une erreur pour lui. Finalement, je me rendais bien compte que je restais souvent "la gentille amie", toujours serviable et polie, pleine de volonté et de tendresse pour ses proches. Mais le rôle de "petite-amie" ne semblait pas fait pour moi. Visiblement, tous les hommes que je côtoyais finissaient par me réduire au rang "d'erreur d'une nuit". Une véritable petite boulette qui, en plus, avait réussi à tomber enceinte d'un des pires mafieux du coin. Décidément, le bonheur ne se mesurait qu'à mon propre courage, celui de trouver  tant bien que mal du positif dans les situations les plus grotesques. Ici, je me disais que je donnerais la Vie. Quel merveilleux cadeau, n'est-ce pas ? Mon regard ayant terminé de balayé la salle, je le reportai sur mon ami. Le sien semblait bien durci, sans doute suite à mes révélations. Je sentis une grande tension émaner de lui à l'évocation d'Aaron. Cela ne me disait rien qui aille. Et j'étais loin de me douter de la réalité.
 
« *Comment je connais cette homme c'est simple Jay, tu te souviens de mon séjour dans le coma...je lui dois tout simplement * »
 
Mon visage dû paraître surpris, bien qu'au fond de moi cela ne m'étonnait pas vraiment. Il faut avouer que je savais qu'Aaron trempait dans de sales affaires. Ce que j'ignorais, c'était la raison de sa motivation. Pour quel motif Monsieur Carter en voulait-il suffisamment à Elias pour vouloir sa mort ? Ou tout du moins pour le plonger dans le coma. D'un côté, c'était grâce à cela que j'avais rencontré Elias, un homme merveilleux qui devint mon confident. D'un autre côté, il aurait sans doute été préférable pour lui de ne jamais tomber dans le coma et, par la même occasion, de ne jamais me rencontrer. La peur me prit au ventre. Et si Aaron nous surveillait, en ce moment ? Je ne voulais pas mettre mon ami en danger. Instinctivement, ma main caressa mon ventre, tandis que mes yeux scrutaient toujours Elias. Lorsque je vis ses lèvres s'ouvrir à nouveau, je me demandais ce qu'il allait encore me révéler sur le père de mon enfant.
 
« *Hey oui Jay, tu vois ton cher ami, a failli me tuer parce que j'enquêtais sur lui et ses affaires mais pas seulement Jay, il est responsable de la mort de la mère de mes enfants, il l'a faite tué rien que pour m'atteindre... Tu vois Jay ce type est la pire ordure que je connaisse et tu peux être sur qu'il n'est pas un homme bien, je ne le suis pas non plus mais il est pire que moi et crois moi, un jour il va me le payer.* »
 
Là, mon visage devint blême. Très pâle, même. Mes mains se mirent à trembler et, subitement, ce fut le néant. Mes yeux fixèrent un point sur la table, sans le regarder. Les mots d'Elias me traversèrent l'esprit comme des lames de couteaux écorcheraient la peau d'un être humain. Ce fut douloureux. Aaron avait mis en place la mort de Narcisa, la mère des enfants d'Elias ? Tout cela parce qu'il faisait son boulot de flic et que Monsieur Carter ne supportait pas qu'on se mêle de ses affaires ? C'était totalement dingue. Horrible, même. Je portais en moi sa progéniture, ses gênes couplées avec les miennes. J'en fus retournée. Lentement, mon subconscient me fit revenir à la réalité. Mon regard foncé, lui, remonta sur le visage d'Elias. Les mots avaient du mal de franchir la barrière de mes lèvres.
 
« Je… Je suis désolée Elias. Je ne sais pas quoi te dire d'autre… »
 
Aussitôt, je reportai mon attention sur mon ventre. Celui qui se formait gentiment et qui, d'ici peu, se mettrait à gonfler pour laisser de la place à mon fils, afin qu'il puisse se développer. Pourtant, je savais que je ne pourrais pas blâmer l'enfant de ce qu'était son père, même si ce dernier ressemblait fortement à un monstre, surtout pour Elias. Remuée et un peu abasourdie, je me remémorai les dernières paroles de mon ami. Lentement, mes yeux le regardèrent et ma main sur posa sur son avant-bras. Je le fixai droit dans les yeux, rassurante et, malgré tout, apaisée.
 
« Tu es quelqu'un de bien, Elias. Et crois-moi, si j'étais dans ta situation, je pense que la plupart des gens feraient justice eux-mêmes. Fais tout de même attention à toi. Il est sans doute pire que tu ne peux te l'imaginer. »
 
Je ne voulais pas voir mon ami perdre la vie dans une bataille contre le père de mon enfant. Mais à choisir, je préférais la mort d'Aaron à celle d'Elias. Parce qu'il fallait l'admettre, je tenais plus à mon ami qu'à Aaron ; Même si ce dernier m'avait offert malgré lui la possibilité de donner la vie, le plus beau cadeau qu'on puisse faire à une femme qui voulait un enfant. Désormais, j'étais seule dans mon combat pour garder l'enfant et l'élever, je le savais bien. Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, je n'arrivais pas à haïr Aaron. Sans doute les souvenirs de mon enfance qui le voyaient encore "innocent". Mais étant donné ce qu'il avait fait subir à Elias, soit privé un homme d'Amour et privé des enfants de leur mère, je ne pouvais que commencer à le mépriser. Hélas, j'étais prisonnière bien malgré moi. Car je savais qu'il garderait toujours un œil sur son fils. Toutefois, il ne serait jamais assez idiot pour risquer de le mettre en danger et, de ce fait, dévoiler à ses ennemis qu'il avait un enfant.

«Tu n'as pas à être désolé Jay, tu n'y ai pour rien »

Si tel était le cas, pourquoi est-ce qu'un sentiment de culpabilité m'envahissait le cœur lorsque je posais mes yeux noirs sur l'être en face de moi ? J'avais l'impression d'être une enfant prises en flagrant délit ; Sauf qu'en étant adulte, les conséquences s'avéraient bien plus dramatiques qu'un simple petit mensonge. Là, je venais d'apprendre que l'homme qui était le père de mon enfant, et pour qui j'avais gardé une affection suite à notre enfance partagée, était le meurtrier d'une femme ; Qui plus est, la femme en question était la fiancée d'Elias, mon meilleur ami. Il avait rendu semi-orphelins deux enfants. Tout cela pour quel motif, en fin de compte ? Le pouvoir, sans doute. Ma peau eut la chair de poule, tandis que je me mis à frémir, baissant ainsi mes yeux sur la table. Je remarquai que mon ami se leva de sa chaise, profitant sans doute de piétiner le sol afin de se ressourcer. Et moi, je restais pantoise. Cette situation me mettait la pression, tandis que je ressentais toujours cette culpabilité ronger mon être.

« Ne dis pas de bêtises Jay, tu sais très bien que c'est faux... Ne t'en fais pas je sais de quoi il est capable et je peux te dire que je ne le laisserais pas faire une nouvelle fois du mal aux personnes que je tiens et toi y compris »

Je poussai un léger soupire. Me rassurer n'était décidément pas le point fort d'Elias en ce moment, même si je l'aperçus s'asseoir à nouveau en face de moi. Instinctivement, je posai mes mains sur mon ventre rond comme pour le protéger de la vile vérité. Cette vérité qui expliquait quel homme était son géniteur. Pourtant, lorsque je songeai à Aaron, je le revoyais enfant. Il était mystérieux depuis tout petit, certes, mais jamais il n'aurait pu effectuer le moindre mal envers les gens qui l'entouraient. Je me demandais ce qui le poussait à agir de la sorte et se montrer aussi perfide. J'eus la nausée, bien malgré moi. Elias en profita pour commander à nouveau des boissons. Lorsque la serveuse revint, je lui affichai un sourire malgré toute la tristesse qui se lisait dans mes yeux. Mon visage finit par se poser à nouveau sur mon meilleur ami. Je déglutis difficilement, tel un chien abattu.

« Je suis content pour toi Jay, désolé de réagir comme ça.. »

« C'est vrai que tu as une drôle de manière de manifester ta joie. Mais ça ne fait rien. Je comprends ta réaction… »

Répondis-je sur un ton neutre et effacé. La vie me faisait mal, subitement. Je m'imaginais dans quelques années, avec mon fils qui me poserait des tas de questions sur Aaron Carter. Que pourrais-je lui dire ? Aurais-je la force de lui mentir et de faire passer cet être pour quelqu'un de bon, alors qu'il avait fait du mal à une des personnes qui comptaient le plus pour moi ? Être l'enfant d'un monstre, cela devait donner un sentiment de méprisance de soi ; Cela, je souhaitais l'épargner à mon fils. Mais comment faire les choses bien ? Je me mordis la lèvre inférieure, avant de souffler dans ma tasse de thé. J'en bus une gorgée, avant de la reposer.

« Parlons d'autre chose. Qu'est-ce qui est arrivé de positif dans la vie de Monsieur Taylor au cours de ses derniers mois ? »

Demandai-je, piquée de curiosité. Il fallait dire que garder le silence s'était avéré pénible pour moi. Mais heureusement, maintenant, il savait tout de ma vie qui, d'ailleurs, s'avérait loin d'être passionnante. Cela dit, j'avais envie de passer un moment agréable et jovial. Il y avait eu assez de tristesse et de déception pour aujourd'hui. J'avais envie d'être heureuse. Et pour cela, mes amis devaient l'être aussi.