J'étais assise depuis un moment à la cuisine, le soleil infatigable de San Francisco m'aveuglait à rythme régulier et cette impression me ramenait plusieurs mois en arrière, ce matin où ma vie avait basculé. J'avais encore passé une nuit dont je préférais ne pas me souvenir et le même astre m'avait fait de l'oeil pour bien accentuer mon mal de crâne et mon agacement légendaire. C'était ce jour là que Will et moi avions fait l'amour pour la première fois et parfois je me disais que c'était ma seconde naissance, la vraie, la révélatrice. Mon sourire s'étira face à l'insolence des rayons mais surtout devant la force du souvenir qui à lui seul faisait vibrer mon corps. Comme s'il approuvait, le petit être qui n'en finissait plus de grandir me donna un coup sur le côté. Je tentai de l'apaiser en lui murmurant des mots d'amour et en me massant le ventre. William, lui, aimait chanter des chansons tout près de nous, ses mots à lui ou ceux empruntés à ses artistes favoris ce qui nous plongeait, tous les trois, dans une sorte de cocon de douceur. Il n'était pas rare qu'une larme roule le long de ma joue et face au sourire taquin de Will, j'arguais que les hormones ne se maîtrisent pas. Le rire qui ne manquait pas de sortir de sa bouche sensuelle signifiait immanquablement « elles ont bon dos les hormones ma chérie » et invariablement je le menaçais d'un coup de pied, de coussin... Nous avions repris nos jeux d'antan entre insouciance, amour et responsabilité.
Entre le soleil et ces images qui inondaient mon esprit, je ne pus que me transporter au Centre, la première fois que j'avais surpris William jouer de la guitare. Il avait déjà réussi à briser quelque peu la glace entre nous, j'avais tenté de le séduire mais il gardait cette distance obligatoire entre nous, entre le soignant bénévole et la droguée en rémission. Je le comprenais à présent mais à l'époque, tout était plus compliqué. Il me faisait rêver malgré moi, sa présence cachait la noirceur du ciel et je cherchais constamment sa compagnie. Il parlait très peu de lui lorsqu'il était avec moi, prétextant qu'il était là pour l'inverse. Je n'avais pas idée de ce qu'il cachait.
Cette nuit là, il était responsable de nous et j'avais mes habitudes dans ces cas là. J'errais dans les couloirs, espérant bien le croiser inopinément, du moins, c'était ce que les apparences pouvaient laisser croire. Qui était dupe ? Un magnifique son de guitare sèche résonnait à deux portes de moi et je m'avançais précautionneusement. Je restai sur le pas de la porte à le regarder. Sa tête et son pied battaient le rythme d'une mélodie que je peinais à nommer. Doucement sa voix s'envola. Nous étions seuls mais je n'osais pas le déranger. Sans que je m'en rende compte, je posai mon visage contre le chambranle de la porte et fermai les yeux, il venait de m'envoûter. Ma bêtise – ou pas – fut de dire « encore » lorsqu'il s'arrêta... Nos regards surpris se croisèrent longuement, prémices de ce besoin infatigable qui nous habiterait toujours. Je ne savais s'il allait me renvoyer dans ma chambre ou satisfaire à ma demande...