"On verra ça plus tard". Ces termes, inutile de préciser qu’à force de les entendre, dans tous les contextes possibles et imaginables, j’en avais marre. Plus tard, ça n’aidait pas franchement. Ca pouvait être quelques heures, quelques jours, plus. Quand il s’agit d’un salaire, ça l’est encore plus. On en arrivait à se demander si on aurait notre paye au final. C’est sur ces pensées que, bougon, j’étais retourné au domaine de la famille Elicott, comme cela m’avait été demandé. J’espérai en finir vite, étant donné que j’avais d’autres projets bien plus intéressants pour ma journée. Je me doutais que je n’étais pas le seul, mais bon. Hier, peut-être avant-hier, j’avais bossé pour ces gens là, dans une soirée bien trop classe à mon goût. A croire que leurs seuls sujets de conversation tournaient autour du cours de la bourse…Ou autre chose, au vu du scandale qui avait pas mal excité les médias ces dernières semaines. A dernières nouvelles, rien n’avait été prouvé sur la fabrique d’arme camouflée pourtant. Je devais admettre que je m’en foutais éperdument. Bref. J’avais passé de longues heures à m’occuper de toutes sortes de cocktail, tout se passant à merveille, malgré l’envie de prendre l’air à cause de ces drôles de gens. Jusqu’à ce que je parvienne à en renverser un sur le fils Elicott…La faute qui n’arrive qu’une fois toutes les morts d’évêque chez moi, j’avais réussi à la commettre quand aucune erreur n’était admise. Contrairement à mon habitude, je m’étais confondu en excuses auprès du jeune homme, plus par peur pour mon salaire que par sentiment de honte, c’était évident. Le moment passé, je n’eus pas l’impression qu’il m’en tienne rigueur, heureusement pour moi.

Cependant, quand le type qui devait être le majordome, m’apprit que monsieur Elicott était absent, et que je devrais gérer avec son fils, je fus tenté de faire demi-tour. Fallait que ça tombe sur moi. Pour en rajouter une couche, l’employé m’envoya valdinguer sur des sentiers du domaine pour que je puisse mettre la main sur le jeune homme. J’avais passé l’âge de jouer à cache-cache, mais j’étais parti pour. Mes projets pour l’après-midi commençaient à me paraître compromis…Je maugréais un remerciement qui se voulaient poli, et m’enfoncer sur un de ces chemins escarpés. Les domaines comme cela, avec le majordome et tout le tralala, ça me semblait carrément vieillot. J’étais plus habitué à la civilisation ‘chacun pour sa pomme’. Puis je préférais. Pas de risques que je me prenne la tête avec des bonnes manières. J’étais même heureux de ne pas avoir été élevé dans ce genre de trucs. Pour un gosse, y avait plus marrant. Finalement, je n’avais pas à me plaindre. Pour le moment présent, je fus quand même surpris du calme de l’endroit. A San Francisco, avoir un coin calme, ça relevait de l’exploit. Peut-être était-ce du à la végétation qui entourait le lieu ? C’en était presque étouffant à force. Et monsieur Reagan Elicott qui se trouvait on ne sait où…Je pinçais les lèvres, résolu à revenir une prochaine fois si a continuait. Je n’allais pas le chercher indéfiniment.

Je m’arrêtais devant un portail, qui semblait mener à une écurie. J’hésitais un moment, la main posé contre ces immenses portes de fer. Elles étaient entrouvertes, comme si quelqu’un était passé et avais omis de les refermer derrière lui. Avec un peu de chance. Je le passais à mon tour, m’aventurant du côté du bâtiment. J’avais juste, la porte était grande ouverte. J’y passais la tête et manquais de lâcher un cri de victoire. Enfin. C’était pas trop tôt. Reagan était là, occupé à caresser un cheval. Il ne semblait pas m’avoir vu, aussi je signalais ma présence par un raclement de gorge. « J’ignorais que vous vous intéressiez aux chevaux monsieur Elicott. » Eurk. Le vouvoyer alors qu’il ne devait pas être bien plus vieux que moi, ça me semblait ridicule. Néanmoins oui, je le voyais plus le nez dans les bouquins qu’avec ces animaux..

Ce type était-il toujours aussi froid, méprisant, et hautain ? Parce que à peine arrivé, il me donnait déjà des envies de meurtres, avec ses grands airs. Je n'étais pas du genre à agresser tout ce qui bougeait, mais Elicott était vraiment un cas à part, au bout de trois jours de rencontres. Nul doutes qu'il m'avait reconnu. Je ne sais pas si ce qui l'embêtait, c'était la présence d'une personne, ou si le problème était dû à ma petite personne. Sûrement les deux. Mais aussi, qu'est-ce qu'il avait été traîner sur ma trajectoire...Oh en fait, c'était bien fait pour lui. Nous n'étions de toute façon pas du tout obligés de nous côtoyer, heureusement d'ailleurs. Il ne m'adressa qu'un regard désintéressé avant de se remettre à seller l'équidé, qui ne bronchait pas. « Ils sont bien les seuls digne d’intérêt » Ben voyons. Quoique sa réponse ne m'étonna pas vraiment. S'il se sentait supérieur à n'importe qui et n'importe quoi, tant mieux pour lui. « Si vous le dites. » Je n'avais pas envie de lui fournir une réponse constructive et argumentative pour montrer à quel point il était à côté de la plaque. Il était inutile de perdre du temps pour signaler que je n'étais pas de cet avis, parce qu'après tout, autant lui que moi, je suppose que ça nous était complètement égal. Surtout pour lui en fait, qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir à cirer de l'avis d'un homme qui bosse pour gagner sa vie, au lieu de vivre sur les acquis de son papa chéri ? Mouais. Je le laissais s'intéresser aux canassons finalement. Je soupirais, pressé de terminer cette petite entrevue.

« Que puis-je pour vous ? » Pas trop tôt. Il passa à côté de moi, l'animal le suivant de près. Je bloquais un instant sur son regard sombre, le soutenant avec arrogance. Ça ressemblait tout de même plus à l'attitude d'un homme voulant se débarrasser d'une corvée, que celle d'un homme qui voulait réellement aider. Encore une fois, aucune surprise. On ne risquait pas de devenir les meilleurs amis du monde, c'était un fait. Heureusement que je ne comptais pas le revoir par la suite. Bon sang, si j'avais su, je serais revenu une autre fois. Limite maintenant on allait me reprocher de déranger. Quel temps perdu. Je me poussais du chemin, me rapprochant du jeune homme qui arborait un air affreusement neutre. « On m'avait dit de repasser pour la paye, et votre...majordome ? M'a envoyé vers vous. Je vous prie d'accepter mes sincères excuses si je dérange monsieur. » Au diable les bonnes manières...Le ton cynique que j'avais employé ne faisait aucun doute sur ce que je pensais intérieurement. De toute façon, dans le pire des cas, Elicott se vexerait et me renverrait d'ici, en me traitant de vulgaire personnage. Qu'il essaye remarque, ça pourrait être amusant. J'eus un maigre sourire à cette idée. Dire que ce mec, qui devait avoir à peine quelques années de plus que moi, agissait et réagissait comme un vieux...C'était bien dommage, mais bon, ce n'était pas mon problème. Je reculais un peu, déclarant solennellement. « Et si je dérange monsieur, qu'il me le dise et je me retire. » J'effectuais une courbette stupide, essayant d'y mettre toute la moquerie possible. Oh oui, j'aurais bien aimé voir le beau brun s'énerver.

J'étais de bonne humeur. Mais ça, c'était avant. Avant que je me mette à parler à ce guignol qui prenait un grand plaisir à monter sur ses grands chevaux à la moindre remarque. Je me serai bien passé de venir gentiment faire la discussion, surtout si j'avais su que ça ne mènerait à rien. Monsieur ne semblait pas trop disposé à s'occuper des employés. Que pouvait-il bien penser de ceux-ci, dans le cas présent de moi ? Sans doutes des indésirables, ce qui n'était pas trop loin de la vérité. De toute manière, ça marchait dans les deux sens : Elicott ne voulait pas voir les employés, et inversement, il devait assez taper sur le systèmes de ces derniers pour qu'ils n'aient pas envie de le croiser. Pour l'instant, j'avais laissé tombé le respect, pour laisser place à une raillerie déplacée. Le sourire de l'homme eut le don de me faire grimacer. Qu'est-ce qu'il allait encore me sortir comme connerie ? Non pas que ça en devienne gonflant mais...un peu. « Il semble qu’il y a un malentendu. Dû a votre manque d’habilité, vous avez malencontreusement détruit ma chemise ce soir là. Etant donné que le prix de celle-ci a été retiré de votre paie, il vous reste… rien » Je me disais aussi. Je le dévisageais, ne sachant pas trop comment le prendre. Je voyais mal ce genre de personnes dotées d'un humour, aussi pourri soit-il. L'exagération alors...Ce n'était jamais qu'une foutue chemise, pas de quoi en faire tout un drame. Comme si la fortune de Monsieur était à une chemise prêt, franchement. En plus, il continuait de sourire...Il ne se sentait pas con, juste comme ça ? Semblerait que non. Un égo sur dimensionné, peut-être. Chez les gens comme ça, ce n'était pas rare. « La prochaine fois soyez plus attentif à ce que vous faites » Cette fois-ci, je me mis à rire, d'un rire affreusement moqueur. Il se prenait pour qui ? Comme si il allait me donner des leçons. Fallait pas trop se foutre de la gueule du monde non plus. S'il se croyait amusant, grand bien lui fasse. Je calmais mon hilarité, tentant tant bien que mal de retrouver mon sérieux. Peine perdue, ça en devenait trop ridicule. « Monsieur s'est essayé à l'humour à ce que je vois. Hilarant. Mais je tiens à vous rassurer, il n'y aura pas de prochaine fois. » Je ne songeais même plus à râler. Je pourrais survivre sans ça, ce n'était pas un problème. En tout cas, comme ce que je venais de préciser, il n'y aurait pas de prochaine fois. Hors de question de remettre les pieds ici par la suite. Ma dose de self-control ne le supporterait sans doutes pas.

Elicott se détourna, apparemment peu motivé à l'idée de continuer à me supporter. Excellente idée, qu'il déguerpisse. Premier acte intelligent qu'il puisse faire, à tel point que des applaudissements auraient été de mise. Impassible, je l'observais grimper sur son cheval. M'enfin, là, il pouvait se prétendre supérieur. Juste en hauteur, le reste... « Maintenant si cela ne vous ennuierais pas, vous pouvez quitter ma propriété. » Volontiers, pauvre con. Bon, c'était pensé fort, mais pas au point de sortir de ma bouche. Il fit avancer son canasson de quelques pas vers moi. Je reculais légèrement, maugréant. « Si vous pouviez laisser cette bestiole loin de moi, ça serait pas plus mal. » Il ne fallait pas s'y méprendre, je n'en avais pas peur, loin de là. Mais je me méfiais de la personne qui était sur l'animal. Un faux mouvement était si vite arrivé...Pour l'instant, je déguerpissais dès que possible, la situation commençant à m'ennuyer à un point assez impressionnant. La connerie humaine pouvait parfois être sans bornes. « Oh et si cela vous intéresse, je pourrais vous envoyer une brochure d’une école de serveur, cela ne vous ferai certainement pas de mal de savoir tenir les verres correctement sur votre plateau » Là, je manquais de m'étouffer. Il se foutait de moi, c'était pas possible...Je me sentais sur le point d'exploser, et de devenir franchement vulgaire, malgré le fait que ça n'en vaille pas la peine. Je connaissais mon boulot, je n'avais pas besoin d'un abruti de la sorte pour me l'apprendre. Monsieur se souciait de mon cas dites donc, ç'en était adorable ! Je fronçais les sourcils, sur le coup franchement vexé. Pour qui est-ce qu'il se prenait ? « Vous serez ravi d'apprendre que je n'ai pas besoin de ça pour savoir tenir des verres. Il a fallu qu'il y ait un petit incident, et c'est tombé sur vous. C'est fort regrettable pour votre chemise, mais ça ne changera pas ma vie. Alors votre brochure... » Je m'arrêtais net, me rendant compte que j'étais sur le point de dépasser l'extrême limite des bornes. 'Votre brochure, vous vous la mettez là où je pense', ça serait sûrement mal passé. Je ne comptais pas me refaire engager par cette famille, mais si c'était pour me faire une mauvaise réputation dans le cadre des soirées privées, je préférais m'arrêter là, le verre ayant fait assez de dégâts. Finalement, il ne l'avait pas volé.

« Saurez vous retrouver votre chemin, où voulez vous que je fasse appeler quelqu’un qui vous raccompagnera a la sortie ? » Qu'il me prenne pour un abruti aussi. Je savais par où j'étais arrivé, il n'y avait pas trop de soucis à se faire pour ça. Et j'étais bien pressé de repartir, n'ayant fait que perdre du temps à discuter d'une cause perdue. Je ne comptais ni sur lui, ni sur l'un de ses employés. Les pauvres d'ailleurs...Est-ce que le père Elicott avait le même caractère que son fils ? Si oui, ça ne devait pas tous les jours être joyeux. J'imaginais déjà l'ambiance. Ces gens avaient définitivement au moins un demi-siècle de retard jusqu'à aujourd'hui. « C'est aimable de votre part, mais je suis capable de m'y rendre seul. Je ne suis pas débile, comme vous avez l'air de le penser. Passez le bonjour à votre père. » Lui parler de cette manière, c'était tellement décalé de la personne que j'étais franchement...Aimable, la bonne blague. Ce ne serait pas lui, mais quelqu'un me gonflant dans la rue, je lui aurais déjà encastré la tête contre le premier mur venu, avec un grand plaisir. Je ne pris pas la peine d'être poli, que je fis demi-tour, direction le portail. Ce calme commençait à gentiment m'étouffer. Je n'avais pas besoin de vérifier pour savoir que l'autre rigolo devait être euphorique de me voir déguerpir dans une rage idiote...

Si je vous parlais d'une légère envie de violence, envers un abruti de première, est-ce que vous comprendriez ce que je veux dire ? D'accord, frapper, ce n'était pas la meilleure solution. Mais l’ego qui émanait de ce type me rendait fou. Pour qui se prenait-il franchement ? Il ne valait pas mieux qu'une tierce personne, ce qui avait l'air de totalement lui sortir du crâne. Je venais de m'éloigner de l'équidé, par simple prudence, demandant à Elicott de lui faire garder ses distances. Je n'avais pas besoin de commentaires pour savoir que je lui offrais une autre occasion de se moquer de la situation. « N'ayez crainte, elle ne vous fera aucun mal... » Quel scoop. Je haussais les épaules, n'en ayant malgré tout rien à faire. Dangereuse ou pas, la bestiole restait loin de moi, point à la ligne. « C'est pas tellement d'elle que je me méfie. » Je soutenais, son regard, arrogant. Je ne voulais pas qu'il confonde tout, et pense que je pouvais avoir peur de lui, ou de ce qu'il pourrait faire. Être respectueux, et m'effacer face aux gens, d'accord, mais seulement quand ça en valait la peine. Dans le cas présent, ce n'était pas le cas. Se pensant amusant, il continua sur sa lancée, me parlant d'une brochure d'école, pour m'améliorer...Il m'avait bien vu, franchement ? Je manquais d'exploser, rejetant vulgairement sa proposition. Au point où j'en étais, m'enfoncer un peu plus ou un peu moins, ça ne changerait rien du tout. J'étais sur le point de m'en aller, mais encore une fois, l'homme me retint, s'inquiétant de savoir si j'allais retrouver mon chemin...Dans ma tête, ce fut sûrement la goutte qui fit déborder le vase. Je sentais clairement qu'à la moindre autre intervention de sa part, j'allais exploser. Je lui faisais comprendre, et je tournais les talons, regagnant le portail, et donc la sortie, qui prenait une allure d'oxygène...Dans ces circonstances, je comprenais l'expression 'pomper l'air'.

Au fur et à mesure de mes pas, je sentais son regard peser dans mon dos. Je savais pertinemment que me retourner pour l'insulter de tous les noms d'oiseaux, bien que ce soit une idée tentante, serait la pire chose que je puisse faire pour le moment. A tous les coups, je réussirais à me trouver pris au piège dans ma propre mauvaise humeur. Autant lâcher l'affaire. Du moins, c'est ce qui était prévu. Dommage qu'Elicott ne l'entende pas de cette oreille. Il arrêta son canasson juste devant moi, me retenant davantage. Je croyais (et espérais) qu'il préférait me voir dégager, fallait savoir. J'eus droit à un nouveau regard hautain. Bon dieu, ce que ce type me soûlait. « Et en quel honneur lui passerais-je votre salut ? Le connaîtriez vous peut être ? » Je passais une main dans mes cheveux, signe d'extrême lassitude. Il commençait à s'attacher à moi ou quoi ? Pourquoi me retenir pour un détail aussi foireux ? Il faudrait vraiment que j'apprenne à me taire en temps voulu. Je savais quand même que le contourner pour atteindre le portail, sans davantage d'explications, ce ne serait pas possible. Je ne tenais pas vraiment à ce qu'il me prenne la tête, aussi, je le dévisageais. J'avais eu d'autres choses à faire depuis que j'avais manifesté ma présence un lot de minutes avant. S'il ne m'énervait pas autant, j'aurai pu avouer qu'il n'était pas désagréable à regarder. Franchement séduisant même. Je secouais quand même la tête. J'avais autre chose auxquelles donner tête là, et puis de toute façon, ce mec était sans doutes incurables. Si ça arrivait, si c'était possible déjà, il faudrait un très long moment. Réellement, ça ne servait à rien de me poser la question. Rien ne nous amenait à nous fréquenter, et tant mieux. Je réalisais alors que je venais de passer un long moment à le dévisager sans rien dire. Quel boulet...Il fallait vraiment que je redescende sur terre car même mes envies de meurtre étaient retombées. Je reculais, ne prenant pas la peine de demander à ce qu'il fasse reculer la jument. Je haussais les épaules d'un air désolé, ignorant bien royalement sa question, peu envieux de lui accorder raison. « Je veux bien partir, il n'y a aucun soucis. J'ai même plutôt hâte, voyez-vous. Sauf que si vous me coupez le chemin, et me retenez...Ça risque de ne pas le faire. Je croirai presque que vous vous attachez à moi. C'est triste...Vous vous sentiriez pas un peu seul, juste comme ça ? »

Bordel...Qu'est-ce que je me mettais à raconter encore...C'était de la provocation pure et dure. Moi qui comptait déguerpir au plus vite, j'étais encore reparti pour un tour. Ce n'était pas réellement ma faute, si on partait du fait que Elicott m'avait cherché. A bien y réfléchir, c'était peut-être ce qu'il avait cherché : m'énerver, au point que j'explose. Ce jeu se révélait si amusant, que j'y aurait bien joué dans l'autre sens. Voir ce mec criser contre moi, un pauvre petit employé venu à la base, juste pour réclamer sa paye...Ça faisait un tableau bien pathétique, à y regarder de plus près. Le plus affligeant, c'était peut-être aussi le fait que je pensais ce que je proférais. Il devait bien s'ennuyer, si s'amuser à ça était pour lui une distraction. Mais bon, si ça pouvait le distraire. J'en rajoutais même une couche, tiens. « Je vous aurais bien tenu compagnie, mais j'ai d'autres choses à faire, vous comprendrez, n'est-ce pas ? » Je le regardais, d'un air innocemment compatissant. Se moquer du monde en fait, il faudrait que je fasse ça plus souvent..

A quoi est-ce que je m'attendais exactement, après tous ces pics lancés ? C'était une excellente question. A tout, peut-être, mais sûrement pas à ce calme olympien. Pour moi, ça signait un échec cuisant, si j'avais voulu l'énerver, le vexer. Ou alors, si j'avais réussi, il cachait drôlement bien ses émotions. Car là, j'avais juste droit à un masque de glace, nullement affecté par ce qui pouvait sortir de ma bouche. En temps normal, ceux que je m'amusais tant à exaspérer partaient au quart de tour, si bien qu'il ne fallait pas une grand imagination pour résoudre ce petit problème. Pour l'instant, c'était une toute autre histoire...Ce type étant une histoire à lui seul. J'eus beau en rajouter une couche, rien à tirer. Je ne l'agaçais pas tellement, du moins c'est l'impression que j'avais. Merde. Il était pas drôle. Pour conclure le tout, il paraissait amusé, parce qu'il se mit à sourire -maigre sourire, mais sourire quand même. Je me sentais d'un coup bien stupide, comme un objet qu'on aurait prit plaisir à observer pour se divertir. Ça menait à rien...Puis d'ailleurs, il pouvait pas arrêter de me fixer ? Ça en devenait gênant. « Qu’attendez-vous alors ? N’est-il pas si simple de continuer votre chemin ? » Un point pour lui, et ça me mettait en rage. Sur le coup, ça m'écorchait la bouche de l'admettre, mais il avait tout à fait raison, à croire qu'il avait compris ce qui m'amusait depuis le début. Aussi bien j'aurai pu ne plus faire attention à la supériorité apparente de monsieur, et me barrer, pourtant non, il avait fallu que je reste ici pour lui chercher des poux. Quel con je faisais maintenant...Je haussais les épaules, étant de toute façon pris à court sur le sujet. Il n'y avait rien à redire, quoique je dise, j'aurai tort.

« On penserait presque que c’est vous qui souhaitez passer du temps ici… » Je tressaillais en entendant ça, me retrouvant du coup pris au piège dans mes propres dires. C'est qu'il en profitait en plus. Je me rendais compte qu'une autre chose qui m'énervait profondément chez ce type, après le personnage, et son indifférence apparente, c'était le fait qu'il arrive toujours à détourner les choses à son avantage. Je secouais la tête négativement, tentant de rattraper cette connerie. « L'endroit est peut-être sympathique, mais vous êtes là...Alors passer du temps ici, c'est gentil mais je m'en passerai volontiers. » A quoi bon se montrer agréable. Je pouvais bien ne pas porter Elicott dans mon cœur, il n'était pas si idiot que ça. Même sans que je ne dise quoi que ce soit, il devait bien savoir ce que je pensais sur son compte. Par contre, inversement, je ne savais pas du tout ce qu'il pouvait bien penser...J'avais l'impression de parler à une porte de prison, ce qui n'était pas forcément des plus pratiques pour la communication. Ensuite seulement, je réalisais que ça m'était complètement égal...Encore une fois, ça ne devait pas satisfaire ce grand brun, qui en rajouta encore un peu dans la situation. « Retournez donc à vos activités qui doivent être certainement très… productifs » Productif...Il se foutait de moi, ou quelque chose dans le genre, là ? Je me crispais légèrement, mais ne répondit rien à cela, n'ayant plus trop envie de m'éterniser ici. Comme j'avais pu le voir, une réponse en engendrant une autre, à ce rythme j'en aurais pour le reste de la journée. Je le détaillais longuement du regard avant de tourner les talons, laissant tomber les enfantillages. Car au fond, on se 'disputait' comme le feraient des gamins dans la cour de récréation.

Je contournais sa bestiole, n'insistant pas pour qu'il se pousse afin d'économiser ma salive. Je plantais mes mains dans mes poches, plutôt pressé de l'avoir hors de vue. « Le salaire est envoyé à nos employés, nul vaut la peine de venir le réclamer. Vous devrez le recevoir d’ici peu. » Je butais net, me retournant d'un air ahuri. Il se foutait de moi depuis le début alors ? Il m'avait fait perdre mon temps pour ça ?! Sur le coup, au vu de la bouffée d'exaspération qui monta en moi, je fus heureux pour lui qu'il soit perché sur son cheval, et non à terre. Ça aurait pu être dommage pour lui. Au lieu de quoi, je me massais les tempes d'une main, soupirant comme si j'avais affaire à un enfant posant problème. « Et vous pouviez pas le dire avant, non ? » Gagner du temps, j'aurais pas été contre. Enfin bon, maintenant qu'au bout de laborieux échanges, j'avais réussi à savoir..ce que je voulais savoir, je pouvais enfin y aller. « Bon. Je vous laisse promener votre canasson. » Il me désespérait ce type, j'en éprouvais presque de la pitié. Tout ça étant bien entendu ironique. Je ne fis même pas attention à ce qu'il me répondit, si toutefois il en prenait la peine.

Personnellement, il ne me fallut pas longtemps pour regagner le manoir, et surtout la sortie. Perdre du temps à discuter avec ce genre de personnes, non mais quelle idée.