Timéo & Tess

Depuis que le séisme avait sévi sur la Californie, j'avais eu l'impression de ne pas pouvoir dormir. La première nuit, qui était aussi la nuit du séisme, j'avais tout juste somnolé sous la table du salon, Abby dans mes bras. Le deuxième soir, les secours nous avaient évacués pour des raisons de fuites de gaz. Résultat, j'avais passé une nuit sous un chapiteau empli de monde qui allait, venait dans de grands cris. Moralement, j'en avais déjà pris un coup. Ensuite, il avait fallu que je crois, ou plutôt recroise Luke là-bas. Revoir mon ex-mari pour la deuxième fois en deux jours, surtout alors que notre fille était avec moi, je n'en avais pas besoin. Malheureusement ça s'était fait comme ça, et j'avais juste pris sur moi pour ne pas m'énerver et me défouler contre lui. Le reste de la nuit s'était déroulé un peu plus tranquillement si je puis dire. J'avais bien essayé de dormir un peu sur les lits de fortune qu'on nous mettait à disposition, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être une mère parano. Vu le monde, il était hors de question que je dorme un peu ou que je confie ma fille à des inconnus. Que ce soit des secouristes ou des réfugiés. J'aurais pu demander à Luke, mais au vu de notre discussion un peu houleuse, j'avais préféré le laisser sur le coté et l'oublier un peu. Finalement, lorsque Abby s'était réellement assoupie, la fatigue avait eu raison de moi.

J'avais dormi quelques heures quand les pleurs de la petite me réveillèrent. Ce n'était pas difficile de comprendre pourquoi. Une couche pleine, une grosse faim, elle a froid, ou alors tout simplement elle ne comprend pas pourquoi elle se réveille pas dans son lit. Peut-être un peu tout ça. J'avais perdu toute notion de temps, et dans un sens, sortir m'effrayait un peu. Je ne préférais pas imaginer les dégâts qu'il y avait dans la ville. Je comptais aussi retourner à l'appartement pour récupérer certaines affaires, malgré mon appréhension face à l'état de l'immeuble. Quand je l'avais quitté, il était sur le point de s'effondrer. Si ça se trouvait, durant la nuit, ce qui restait debout avait cédé pour laisser place à un tas de débris. Se posait aussi la question du logement. Jusqu'à ce que les travaux adéquats soient faits, je ne m'imaginais pas vivre là-dedans. Enfin, on verrait bien. J'avais assez de sujet où me prendre la tête pour le moment.

Retrouver l'air frais de l'extérieur faisait du bien, malgré le fait que les extérieurs fassent peine à voir. Abby s'agitait dans mes bras, encore sur le point de faire une crise de larmes. Je ne savais plus quoi faire pour la calmer. Car moi-même, je tentais de garder la tête froide, et ce n'était pas une grand réussite. J'avais à peine fait quelques pas quand j'entendis quelqu'un m'interpeller. La seule personne de ma connaissance que j'avais croisé depuis la veille, c'était Luke, je ralentissais, mais ne m’arrêtais pas, continuant de marcher. Je m'interrompis seulement lorsque la personne passa devant moi. Et là, ce n'était pas Luke non. « Tim ! » Un réel sourire illumina mon visage en reconnaissant le journaliste. Ça faisait un bien fou de voir une tête familière dans les environs. Je posais un baiser sur sa joue, soudainement de bonne humeur malgré tous les soucis qui s'acharnaient depuis le séisme. « Je dirais que physiquement, je m'en sors bien. Quelques égratignures, c'est tout. Abby a rien elle. » J'installais un peu mieux Abby contre ma hanche. « D'ailleurs jusqu'ici je n'ai fait que t'en parler, donc voilà la princesse. » Un sourire fier sur les lèvres, je désignais la petite du menton. Elle s'était calmée en voyant l'attention fixée sur elle, mais je sentais bien que ça ne durerait pas très longtemps. « Tu peux pas savoir comme je suis contente de te voir... ça fera toujours une personne de moins pour qui je devrais m'inquiéter. Tu as l'air en forme. » Ce qui était assez rassurant en soit. « Je comptais passer à l'appartement chercher quelques affaires. Je préfère pas imaginer quelle tête a l'immeuble maintenant... »

© night sky.

Timéo & Tess

Au milieu de tout ce massacre, voir une tête familière sonnait comme un doux réconfort. Surtout quand il s'agissait d'un ami comme Timeo. Si je n'avais pas eu Abby dans mes bras, pour un peu je lui aurais sauté au cou pour manifester ma joie. J'en oubliais un peu l'enfer que le séisme avait provoqué. Quoique la réalité me rattraperait bien assez vite vu comme étaient parties les choses. Je pense que j'allais vite m'en apercevoir dès que je me retrouverais face à mon immeuble. Bayview était l'un des quartiers les plus pitoyables de San Francisco, alors il ne fallait pas espérer qu'il s'en sorte sans dégâts. Laissant ces idées noires derrière, je ne pus m’empêcher de sourire en voyant Tim faire les présentations avec Abby. Comme lorsqu'une personne inconnue s'adressait à elle, la petite le fixait avec des grands yeux, calme, paisible. Elle ressentait la tension ambiante mais était encore bien trop petite pour comprendre le bazar qui se déroulait dans notre vie. Les mêmes yeux, vraiment ? « Oui, je crois que je ne peux pas nier que c'est ma fille. » Emplie de fierté, je posais un bisou sur sa tête

En lui exposant mes projets pour les heures à suivre, je crus voir passer une lueur d'inquiétude lorsque je parla de retourner à l'appartement. Juste récupérer deux trois affaires, je ne voulais pas rester là dedans. C'était déjà incroyable que l'immeuble tienne debout, il ne fallait pas trop forcer le destin. Je ne tenais pas à ce qu'il s'écroule sur ma tête « C'est Bayview... Je peux déjà me réjouir de m'en sortir indemne, d'autres immeubles du quartiers se sont littéralement effondrés sur place à ce que j'ai pu voir. » Je soupirais, chassant ces horribles images de mon esprit. Ça ne valait pas la peine de ressasser tout ça, alors que c'était fini. Maintenant il allait falloir se reconstruire, ce qui n'allait pas être simple. Au moins, Timeo allait bien. « De la main d’œuvre n'est pas de trop ici... Je n'aurais jamais pu penser que San Francisco accueillait autant de personnes dans le coin. C'est juste... impressionnant. Les hôpitaux doivent être bondés. Je suis ravie de ne pas avoir à passer par là-bas. Comme quoi, je suis une sacrée veinarde. » prendre le bon coté des choses aidait à tenir le coup, non ?

« Je ne compte pas rester là-bas, ne t'en fais pas. L'immeuble ne m'inspire pas plus confiance à toi qu'à moi. Mais j'aimerais récupérer quelques affaires avant de... euh... aviser quoi faire. » Mon sourire s’effaça aussitôt. Je ne savais pas du tout ce que j'allais bien pouvoir faire non. Si cela ne me concernait que moi, j'aurais pu gérer. Mais j'avais ma fille, et il suffisait de la regarder pour voir qu'elle n'avait plus qu'envie d'une chose : manger et dormir au calme. Les besoins à cet age sont aussi simple que cela. Je me mordillais la lèvre inférieure en entendant Timeo me poser la question qui met mal à l'aise. « Je ne vais pas te mentir, je ne sais vraiment pas ce que je vais bien pouvoir faire maintenant. Cette histoire, c'est juste dément. J'arrive à peine à y croire. Comme quoi, on pense que ça n'arrive qu'aux autres, mais on peut se tromper lourdement. »

© night sky.

Timéo & Tess

Malgré la température ambiante et le climat de froid qu'avait installé le séisme, la présence de Timéo amenait une chaleur qui me soulageait un peu. Il avait sûrement mieux à faire que de discuter avec moi au vu de tous les dégâts qu'on pouvait trouver autour de nous, mais je me sentais déjà moins seul, et ça valait de l'or. Il n'était pas comme un secouriste qui se la jouerait super-héros le temps de quelques heures pour des dizaines, voir des centaines de personnes avant de les abandonner. Il était juste là en tant qu'ami. Nous avions beau ne pas nous connaître depuis des lustres, je me sentais bien plus proche de lui que je ne l'avais été avec des personnes que je connaissais depuis des années. C'était curieux la nature humaine, et cette capacité qu'on avait à s'attacher plus facilement à des gens. Mais le fait est que le courant était tout de suite passé avec lui.  Dans le fond, si nous étions indemnes avec Abby, tout allait bien.
Je soupirais légèrement en entendant mon ami parler de Bayview, des hôpitaux remplis à bloc. Un vrai cauchemar, malheureusement devenu réalité. « Je me doutais bien que en cas de catastrophe naturelle, Bayview serait très touché. Mais je n'aurais pas cru que ça m'arriverait de mon vivant... Enfin bon, pour l'instant, on semblerait bien que le plus dur est passé. Je sens que les prochains mois vont être voués à du nettoyage et de la reconstruction. Ça va pas être de tout repos... »

Malgré le fait que j'allais devoir me débrouiller pour me loger en toute sécurité et subsister, comme des tas d'autres, je tentais de positiver. J'avais pris l'habitude de le faire quand la situation tournait au vinaigre, ce qui jusqu'ici m'avait toujours empêcher de me noyer et de broyer du noir. Je préférais largement garder la tête hors de l'eau et garder un point de vue objectif sur ma propre vie. Encore une fois, Timeo me fit sourire en me proposant de m'accompagner jusqu'à Bayview le temps que je prenne le nécessaire. « Je ne vais pas dire non, surtout que l'air de rien, l'immeuble ne me rassure pas du tout. Il y a eu des fuites de gaz cette nuit, mais le plus gros risque je crois, c'est que l'immeuble s'affaisse sur lui-même » C'était principalement pour cette raison que je ne comptais pas m'y attarder. Ça m'effrayait, tout simplement.

Il n’empêche que même si j'étais calme, même si je faisais mes plans petit à petit, je ne savais pas où aller. J'allais trouver une solution, pour sur, mais je ne savais pas encore quoi. La décision était plus difficile à prendre du fait que je ne voulais rien infliger à ma fille. Elle était encore trop petite pour que je la trimbale à droite à gauche. Il suffisait de la voir pour comprendre que rien que ces dernières 24h avaient été de trop. Je sentais venir la crise de larmes que je serais incapable de calmer. Abby faisait rarement des caprices jusqu'à épuisement, mais si cela devait arriver, je finirais de perdre mes moyens. Tout ça pour dire que lorsque Timéo proposa de nous accueillir, je le regardais, surprise. D'un coté, je craignais de déranger et de m'imposer, mais de l'autre, vu où j'en étais, cette proposition sonnait comme une bénédiction. Et c'était la seule issue correcte que j'avais jusqu'ici. Les mots me manquant sur l'instant, je passais mon bras libre autour de Tim pour me serrer contre lui dans un câlin amical et empli de gratitude. « Pour le coup, tu me sauves. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sinon. Alors j'accepte l'invitation avec joie ! Pour Abby, normalement j'ai tout ce qu'il faut chez moi, pourvu que mon appartement soit encore en état. Autant ne pas perdre de temps » Je me décollais de lui, prenant la direction de Bayview.

© night sky.