Jesse & Vadim

Comme presque chaque jour, Vadim faisait ses courses. C'était un moment qu'il s'obligeait à vivre chaque soir pour ne pas tomber dans le cercle vicieux metro-boulot-dodo.

Il se trouvait donc au super-marché, comme une bonne centaine d'autres San-Franciscains. A presque minuit, une foule hétéroclite faisait encore des achats. Beaucoup d'hommes et de femmes d'affaires, qui comme lui achetaient de quoi survivre. Des mères de famille aussi, achetaient des couches en catastrophe. Et aussi le lot habituel de noctambules venus s'approvisionner pour la nuit.

Vadim patientait derrière un couple qui hésitait devant diverses boîtes de sauce tomate. Une fois les deux indécis partis, il s'approcha du rayon pour remplir son chariot. Il se retourna, sa boîte en main et ressenti une vibration. Comme quand quelque chose de très lourd tombe à proximité. Mais le tremblement persista. Inquiet, Vadim se retourna pour voir le mur de conserves lui tomber dessus.

Un craquement sec, une vive douleur dans la jambe et le russe cria. La douleur lui coupa le souffle, le réduisant au silence. Dans le noir complet, Vadim senti quelque chose l'écraser encore plus. La douleur devint insupportable puis, les ténèbres l'engloutirent.

Une douleur vive dans la jambe le réveilla. En fait, tout son corps lui faisait mal comme si quelqu'un s'était amusé à le rouer de coups. Ses yeux peinaient à s'ouvrir. Après un effort, il finit par les ouvrir pour les fermer aussitôt. La pièce était bien trop lumineuse pour ses rétines. Un grognement rauque sortit de sa bouche. Il cligna plusieurs fois des yeux pour enfin voir net. Un jeune homme en blouse blanche se tenait au-dessus de lui.

« Farrell ! Suture en box 6. » le héla un médecin urgentiste en déposant négligemment un dossier sur le comptoir. Le jeune infirmier ne s’en formalisa pas. Pas cette nuit. Pas après ce terrible tremblement de terre qui avait semé la panique en ville. Les urgences étaient sans dessus dessous, et le personnel complètement débordés, et de plus en plus irascibles. Le jeune homme avait été appelé en renfort, et depuis, il ne cessait de passer d’un patient à un autre pour veiller à leur confort. Cela faisait plusieurs heures maintenant qu’il courait à droite et à gauche sans s’accorder la moindre pause. La suture de la Six avait le goût d’un repos bien mérité. Ses pieds commençaient à le faire souffrir, tout comme son dos qui manifestait de plus en plus son refus de continuer le travail dans ces conditions.

Après avoir récupéré le dossier sur le comptoir, et promis à l’une de ses collègues de faire aussi vite que possible, Jesse se dirigea vers la salle indiqué par l’urgentiste. Sur le chemin, il consulta la feuille de soin de son futur patient. Il s’agissait de Vadim Nazarov. La trentaine. Mentalement, il nota tout ce qui pouvait lui être utile, comme la perte de connaissance de Vadim, causée par la douleur à la jambe et le traumatisme du tremblement de terre, ainsi que l’ampoule de morphine qu’on lui avait déjà administrée.

« Monsieur Nazarov ?… » dit-il en entrant dans la salle de soins. « Réveillez-vous. » Il récupéra des gants non-stériles dans une boite près de l’entrée, puis il s’empara du tensiomètre électronique pour prendre les paramètres du trentenaire. « Monsieur ? Je m’appelle Jesse, je suis votre infirmier. Je vais suturer votre plaie. »

Avec patience, il attendit que la machine ait fini, puis il nota mentalement la tension, ainsi que le pouls de son patient. L’homme était toujours inconscient, mais petit à petit, à force de le bousculer doucement et de l’appeler – toujours par son nom de famille – il émergea et Jesse put enfin plonger ses yeux noisette dans l’océan bleu de son regard.

« Ah, vous revoilà parmi-nous. » Il lui offrit un sourire afin de le rassurer. « Comment vous vous sentez ? »