21h. Et étrangement, le Yelen Lounge était bien plus vide qu'à son habitude. Sans que cette heure-ci soit l'heure pleine en général, il y avait toujours quelques personnes du quartier qui ne juraient que par s'amuser, à tel point que le club avait bien du mal à désemplir. Tout le contraire d'en ce moment-même...Il y avait bien une raison à ça, mais je ne pensais pas que quiconque ait envie d'en entendre à nouveau parler. C'est que l'interruption de Carter ici n'était pas passée inaperçue...La rumeur était passée comme une lettre à la poste, faisant perdre par l'occasion quelques clients à Elias. Quelle discrétion en même temps. Entrer et tirer sur le premier venu...Plus ça allait, moins je comprenais ce qui pouvait bien se passer dans la tête de cet abruti. Finalement, je n'étais pas certain de vouloir le savoir. Vu la façon dont allaient les choses, je le saurai presque de moi même dans les temps à venir. Cela faisait tout juste quelques jours que l'accord avec ce type avait été conclus, que je m'en mordais les doigts. C'était pour la bonne cause, mais malgré moi, il y avait certains actes que je ne cautionnais pas. Me mettre à un tel niveau relevait de l'impossible. Pourtant, je me devais de garder un air complètement détaché pour n'éveiller aucuns soupçons. Une chance pour moi que je n'aie jamais eu de soucis à mentir correctement...Bien qu'auprès d'Adam et Elias, ce soit un peu plus compliqué. Allait venir un jour où je ne serai pas en mesure de gérer entre le club et la besogne que Carter m'infligeait de temps à autre, et alors là viendrait le moment des explications. Je ne préférais pas y penser.

Avec un ennui profond, je fixais le verre que je tenais dans les mains. Depuis près de dix minutes. Et qui avait eu l'honneur d'être nettoyé plus que de raison. Voilà ce que ça donnait quand je me mettais à trop penser...Je secouais la tête. J'avais vraiment pas les yeux en face des trous en ce moment. Des soucis plein la tête qui n'allaient pas en s'arrangeant, on allait dire à ça. Heureusement que personne ne me sollicitait de trop ce soir. Un regard en bais dans la pièce me confirma ce que je pensais ; il y aurait même des personnes de trop ce soir. Vu le calme de l'endroit, on pouvait bien se relâcher un peu. Juste le temps de préparer un whisky pour un habitué affalé au fond du club, et visiblement complètement bourré. Le lot quotidien finalement. Ce type devait juste se saouler la gueule pour oublier sa pitoyable existence. C'était tellement simple, vu comme ça. A côté de ça il y en avait d'autres qui essayaient de tenir contre les emmerdes qui tombaient une à une dans notre vie. Pitoyable. Le pire dans l'histoire, c'est qu'en l'espace de quelques jours, j'avais réussi à être rendu d'une humeur exécrable juste pour une personne. Ça en valait pas la peine. J'avais beau me le répéter, ça ne semblait pas s'imprimer sur ma rétine. C'était bien dommage.

Vu qu'avoir l'air de bonne humeur était voué à l'échec, je pris un air neutre, posant le torchon en vrac sur le bar. Bar qui, il faut l'avouer, avait connu des jours meilleurs. Tant pis, je m'occuperai de ça plus tard. Je ne demandais même pas aux filles, apportant directement le verre à cet ivrogne. En étant aimable qui plus est. Moi, je prenais ma pause. Et de préférence, pas seul. Un mi sourire aux lèvres, je fis exprès de doucement bousculer Héléna. « Je prends ma pause ; tu me rejoins ? » Nouveau sourire, et je sortis dehors. L'air frais eu le don de me rafraîchir considérablement les idées. Au moins je serai pas le seul à me les geler. Mine de rien, ça avait été une bonne surprise de voir la tête de ma nouvelle collègue. J'allais pouvoir la garder à l'oeil. Je savais bien qu'elle était assez grande pour agir seule mais c'était malgré moi. Pourtant, j'étais loin d'avoir l'allure du frère ultra protecteur. Peut-être juste une nouvelle inquiétude à cause de Carter. Quiconque m'approchait devenait une cible, et ça me rendait malade. Au point où j'en étais, il n'y avait plus rien à faire, si ce n'est assurer. Plus histoire de m'occuper les doigts qu'autre chose, je sortis une clope de mon paquet et l'allumait. J'en tirais une première latte, me concentrant sur la chaleur de la cigarette.

Bon...Héléna oserait pas me laisser en plan, si ?

Les yeux fixés sur la clope que je tenais entre les doigts, je regardais machinalement la fumée s'envoler pour finalement disparaître dans l'air. Je pouvais bien rester ainsi de longues minutes, sans faire quoi que ce soit au final. Je ne savais pas trop à quoi ça servait, à part laisser mes pensées vagabonder de toutes parts. Dommage qu'elles soient tellement négatives ces derniers temps...Dire que tout revenait tout le temps à Aaron Carter. J'avais du mal à saisir comment ce type faisait pour me pourrir la vie, même à distance. Un don inné peut-être...Le fait est que j'avais commencé à me méfier de tout et de tout le monde. Je faisais attention aux moindres mots que je disais de peur que ça soit répété, me souciais des personnes que je fréquentais de peur d'offrir à Carter de nouveaux points faibles... Clairement, j'avais du mal. Cela avait le don de m'agacer profondément, et ce n'était que le début. Il n'y avait pas un problème ? Pour moi oui, un gros même. Que j'étais pressé de résoudre, tout en sachant que ça ne se ferait pas aussi simplement. Rien n'était jamais simple, et je commençais à le comprendre. Tout ça pour les conneries de mon père...Il aurait été encore vivant, je l'aurai sûrement étripé de mes propres mains...Enfin façon de parler. A part Carter, je n'oserai jamais tuer quelqu'un ; mon état mental n'était pas encore assez désespéré pour oser. Il ne me restait plus qu'à espérait que ça resterait ainsi. Je ne comprenais pas encore où l'autre taré voulait en arriver pour en être sûr...Quelle prise de tête.

Héléna me sortit de mes pensées en sortant du club, me tendant un verre. « Tiens...et passes m'en une ! » « Et les bonnes manières alors ? » Moi, emmerdeur ? Du tout. Avec un sourire, je lui tendis mon paquet, la remerciant au passage pour le verre. La situation qui suivit me paraissait extrêmement bizarre. La jeune femme n'avait jamais eu la langue dans sa poche, et ça, nous le savions tous les deux. De plus, on n'avait pas encore eu l'occasion de se poser et de discuter depuis qu'elle s'était réellement installée à San Francisco. En comptant tout ce qui s'était passé dans nos vies respectives avant qu'on se rencontre, on avait un tas de choses à se dire. Pourtant, aucun mots ne sortaient de nos bouches. Je laissais l'honneur à Hell de débuter la conversation. Ce qui prit un certain temps, comme si elle prenait le soin de choisir ses mots. « Tu vas bien ? » ...Ce genre de question qui n'avançait jamais une discussion, mais c'était toujours ça. Je tournais ma tête vers elle, la dévisageant, hilare. « Je t'ai connue plus bavarde que ça quand même...Mais je pense pouvoir dire que ça va. Et toi ? »

Dans le genre, j'avance la discussion, je n'étais pas réellement mieux. En soupirant, je me passais la main dans les cheveux. « Tu ne m'as encore jamais dis pourquoi tu t'étais installée définitivement à SF au fait...Je dois dire que ça m'intrigue. » Elle qui avait cette habitude d'être d'une discrétion hors normes, là c'était raté.