« Bonjour mon Ange. » Murmurai-je doucement penchée au-dessus du berceau. Gabriel, mon fils, était réveillé depuis peu de temps et jouait avec un anneau pour bébé, ceux exprès construits pour la pousse des dents  Pour le moment, je savais qu'il n'aurait pas encore de dentition. A trois mois, l'enfant ne permettait pas encore à ses dents de sortir. J'appréhendais un peu cette période où, inévitablement, il se montrerait grognon. Autant prendre des précautions dès le départ. Et puis, il aimait bien mastiquer. Sauf les lolettes ; il ne les supportait pas, préférant les cracher plutôt que de téter après. Lorsque ses yeux bleus se posèrent sur moi, je ne pus réprimander mon sourire douceâtre qui apparut sur mes lèvres, puis je le pris dans mes bras. « Je crois qu'un bon bain ne te ferait pas  de mal. Tu sais qui va venir, aujourd'hui ? Tata Camélia et Tonton Alex. » Si Gabriel connaissait très bien la première, je me doutais fortement qu'il ne savait pas encore qui était Alex. Et pour cause, il n'avait pas pu venir me rejoindre à la maternité, ni après. Ce sera leur première rencontre.

Après avoir fait prendre le bain à Gabriel, je m'occupe un peu de moi pendant qu'il est sagement assis dans son maxi-cosy. Je me débarbouille en vitesse sous la douche, sèche mes cheveux que j'attache, puis j'enfile une jupe noire stricte et serrée avant de mettre ma chemise blanche et mes talons. Je ressemblerais presque plus à une femme d'affaire qu'une mère en congé maternité – qui d'ailleurs arrivait gentiment à sa fin. Me séparer de mon fils ne serait pas tâche aisée, en y songeant. Pas plus que de rentrer à des heures irrégulières et ne pas pouvoir passer du temps avec Kieran. D'ailleurs, ce dernier était parti pour la journée. Je lui laissais une totale liberté de ses mouvements, préférant le lâcher plutôt que de le voir tourner en rond. Et puis, cela me permit d'organiser au mieux le repas pour mon frère et ma sœur. Marek, lui, ne pouvait pas se joindre à nous à cause des études. Quant à nos parents, ils devaient profiter des vacances prolongées que leur octroyait leur retraite anticipée. Il faut dire que la société était désormais aux mains d'Alex. C'était une bonne chose, même si cela ne me laissait guère le loisir de parler à mon frère.

Le repas cuisait tranquillement dans le four. Pour l'occasion, j'avais préparé des canapés de foie gras et saumon en apéritifs. Le menu se composait d'un gigot d'agneau à la moutarde, avec haricots et frites. Pour le dessert, j'avais commandé des fondants aux chocolats à un pâtissier ; il ne me restait plus qu'à les mettre au four au dernier moment. Tout était prêt ; J'avais pensé également à mettre divers alcools au frais pour ne manquer de rien, ne sachant pas ce qu'ils aimeraient boire avant, pendant et après le repas. J'installai alors Gabriel dans le salon pour avoir un œil sur lui durant les festivités. Il était très calme, ce qui me rassurait. Ce n'était pas un enfant désagréable, bien au contraire. Toutefois, je restais constamment sur mes gardes quant à l'identité du père biologique. Personne n'était sincèrement dupe ; Je ne l'avais pas fait seule, après tout. Néanmoins, je n'avais pour le moment rien dit à propos de qui il était. Peut-être le devrais-je, après tout. Hélas, je savais que ce serait tendu pour Alex d'apprendre qu'il s'agissait de son pire ennemi, Aaron Carter. Et les révélations d'Elias à son sujet ne firent que me confirmer mes craintes les plus profondes : Aaron pouvait être un véritable monstre. Pourtant, je préférais mourir plutôt que de lui laisser mon fils ; Bien que, selon lui, il ne viendrait jamais prendre le petit. Aurait-il un cœur, finalement ? Difficile à croire. Difficile à imaginer. Difficile à dire.

Soudain, la sonnerie retentit frénétiquement, ce qui me fit sortir de mes songes tandis que mon regard noir s'était perdu dans la contemplation de mon fils. Cela devait être Camélia, à peine en retard mais pressée. Je souris, amusée, avant de rejoindre la porte d'entrée et de l'ouvrir. A peine eussé-je le temps de me retrouver en face de ma sœur qu'elle me sauta presque dans les bras. « J'ai l'impression de pas t'avoir vue depuis trois siècles » Cela me réjouit de sentir un peu sa chaleur. Il faut dire que j'en avais besoin, après mes mauvaises pensées passagères. « Toi aussi tu m'as manqué… » Avouai-je gentiment sur le pas de la porte. Je la fis entrer alors et nous rejoignîmes le salon où Gabriel jouait, couché sur le dos, sur son maxi-cosy.

« En plus il semblerait que je ne sois pas la dernière à arriver. Ça me change. Ah, et puis je sais qu'à chaque fois tu me dis que ce n'est pas la peine, mais je suis encore trop faible pour résister à l'envie donc voilà pour le petit. Et ça c'est pour nous » Je fus surprise de la taille deux énormes sacs destinés à Gabriel. Décidément, elle prenait son rôle de tante très à cœur, ce qui me ravissait. Finalement, aurait-elle la fibre maternelle ? Un sourire amusé traversa mon visage à cette simple idée de la voir avec un petit bout dans les bras. Elle pouvait déjà s'entraîner avec le petit. Je me saisis alors des sacs et de la bouteille, visiblement réjouie. Le vin semblait être d'un très bon crû, ce que j'appréciais fortement. « Merci, mais tu n'aurais vraiment pas dû. » Je posai alors les sacs sur le canapé, prête à les déballer prochainement. Puis je filai vite déposer la bouteille sur l'établi de la cuisine avant de revenir la voir.

« Alors, comment tu vas ? Et Gabriel ? » Je m'assis alors avec elle pour lui répondre. Du moins, je m'apprêtais à le faire lorsque la sonnette retentit alors, me faisant tourner la tête en direction de la sortie. Je levai mon index. « Ah, ça doit être Alex. Je vais lui ouvrir… » Je regardai alors l'heure au passage. Il n'était guère en retard, mais bon. Le contraire m'aurait étonnée. Aussitôt, je filai alors à l'entrée et j'ouvris la porte à mon frère, souriante. « Le retardataire est arrivé ! » Dis-je sur le ton de la plaisanterie en le regardant, amusée. « Non, je t'embête... Camélia vient aussi d'arriver. Entre seulement. » Je m'aperçus alors qu'il tenait une peluche dans les mains et un bouquet de fleurs. Faisant mine de rien, je le laissai entrer dans la pièce puis je l'invitai à rejoindre le salon où se tenaient Gabriel et Camélia. J'étais vraiment contente de les avoir à mes côtés aujourd'hui. « Alors, comment allez-vous? Ca fait longtemps que je ne vous ai pas vus… » C'était plus à l'attention d'Alex que de Camélia. D'ailleurs, je me retournai vers mon frère, avant de prendre le petit dans les bras et de lui présenter mon enfant et ses grands yeux bleus, malgré son teint métissé. « Alex, voici ton neveu : Gabriel. » Mon fils ne bougeait pas, visiblement intrigué. Il était curieux de Nature, ce qui me fit penser à Alex plus jeune. Au moins, il avait hérité de moi également. J'espérais que, hormis ses yeux, il ne ressemble pas à son père biologique un jour…

Tandis que je présentais mon fils, Gabriel, à son cher oncle qui ne l'avait encore jamais rencontré, la sonnette retentit une troisième fois en l'espace de peu de temps. Pourtant, nous étions au complet à ce que je sache. Peut-être était-ce nos parents, Tess et Wayne, qui avaient finalement pu se libérer pour nous rejoindre ? De toute façon, j'avais assez prévu de nourriture pour une semaine complète. Je me retournai toutefois en regardant mon frère et ma sœur, visiblement tout aussi surpris que moi. « Je me demande qui ça peut être. » Avouai-je, plus en me parlant à moi-même qu'à ma famille. Ou alors, Kieran avait oublié quelque chose ? Non, il avait la clef à ce que je sache. Je reposai alors Gabriel dans son maxi-cosy, les sourcils froncés, et je pris congé de mes invités. « Je vais voir qui c'est. Je reviens. » Cela paraissait logique que j'aille vérifier qui était à l'origine de la sonnerie, évidemment. Et si c'était Aaron ? Mon sang se glaça aussitôt et je déglutis péniblement tandis que ma main touchait la poignée d'entrée. J'imaginais déjà les pires scénarios. Secouant nerveusement la tête, je pris une profonde inspiration et je finis par ouvrir la porte. Et là, ce fut le choc. Marek…

« Salut ! J’passais dans le coin, voilà, parce que euh… Des trucs à faire, tu sais, tout ça, des livres. Voilà. À acheter. Et puis, donc, j’passais dans le coin, et je me suis dit, finalement, je pouvais passer, tu sais, vous voir, toi, Cam, Alex, et euh… Gabriel. Oui. D’ailleurs j’ai acheté un jouet, enfin une peluche, tu sais, c’est une vache, quand on appuie dessus elle fait « meuh ». Gros, gros succès. Enfin, il paraît. » Tant bien que mal, j'essayais de décoder ce qu'il me racontait à une vitesse folle, encore abasourdie par une telle visite. Je n'avais pas revu mon frère depuis près de… J'étais encore enceinte, en fait. Cela devait faire une demi-année, sauf erreur de ma part. Il avait toujours plein de choses à faire, selon lui, et jamais le temps nécessaire à la Famille. Nous n'étions pas proches, en plus, ce qui n'arrangeait rien à nos rapports. D'ordinaire, nous évitions même de nous parler. Et la dernière fois, c'était au repas familial chez nos parents où j'avais été questionnée à plusieurs reprises sur le père biologique de mon enfant, sans donner la moindre réponse à qui que ce soit. J'avais mes raisons de me taire et ils n'en savaient pas plus. J'observai alors Marek qui était tout aussi nerveux qu'un électron libre. Il semblait véritablement s'égarer entre ses propos et ses intentions. « Mais bon, j’me dis, tu dois avoir prévu que pour trois, le repas, alors, j’vais pas m’imposer, j’vais y aller, hein, j’veux pas déranger, mais c’était sympa… » Un sourire fébrile apparut à la commissure de mes lèvres. Finalement, il était venu. Cela me fit chaud au cœur tout en m'intriguant. Pourquoi avoir subitement changé d'avis ? Avait-il remis ce qu'il devait faire à plus tard pour enfin voir son neveu et partager un moment avec nous ? Je repris alors aussitôt, par peur qu'il s'en aille. « Non. » C'était assez catégorique mais, au moins, il avait arrêté de tripoter nerveusement son bouton de chemise blanche. Finalement, j'essayai de m'adoucir d'avantage pour ne pas le faire fuir. C'était difficile avec Marek, depuis quelques années. Je ne savais jamais comment me comporter ni quel ton employer. « J'ai prévu pour assez de monde. Et puis, cela ferait plaisir à Alex et Camelia de te revoir. Et... à moi aussi… en fait… » Révélation ? Sans doute. Il m'avait manqué. Contrairement aux apparences, je tenais à mon petit frère. Nous étions très différents, c'était indéniable, autant physiquement que psychologiquement. Je me poussai alors dans le creux de la porte et je fis l'espace plus grand pour qu'il daigne pénétrer dans la demeure. « Entre seulement. » Finis-je par lui proposer, gardant mon sourire aux lèvres.

L'intérieur était un mélange de bois et de modernité, ce qui traduisait bien que j'étais issue de différentes cultures. Néanmoins, je ne m'attardai pas à lui montrer toutes les pièces de la maison. A la place, je refermai la porte et je l'invitai à me suivre jusqu'au salon où Alex et Camelia se trouvaient toujours. Ils furent, je crois, aussi surpris que moi de découvrir qui était la personne derrière la porte. « Regardez qui a pu venir, finalement. » Clamai-je doucement, avant de les laisser s'apprivoiser du regard. Gabriel ne perdit pas le Nord et fit un léger bruit, attirant également l'attention sur lui plutôt que sur le nouveau venu. Aussitôt, je m'approchai de mon fils et le pris dans mes bras. « Marek, je te présente Gabriel. » Dis-je sur un ton neutre, n'exprimant aucune animosité de son absence. Après tout, Alex venait également de rencontrer son neveu pour la première fois. Finalement, j'essayai de détendre l'atmosphère. « Qu'est-ce que vous voulez boire ? Je crois que j'ai à peu près de tout, que ce soit en alcool ou en minéral. » Il fallait bien commencer par quelque chose, étant donné la surprise générale.