« On a tous des secrets bien gardés. »

Ce matin, je m’étais réveillé avec une impression étrange au fond des tripes. Comme si quelque chose allait se produire ou que j’allais être témoin d’un événement. Je tentai de me redressai de mon lit, mais ma hanche droite me fit affreusement souffrir et je ne pus que réprimander cette douleur par un grognement sordide et inutile.

« Put…ain… »

Persifflai-je entre mes dents en empoignant la dite hanche qui ne me rendait pas service. Après une bonne dizaine de minutes à rester allongé la jambe tendu, je pus enfin retrouver mes capacités physiques. Aussitôt, j’avalai les médicaments prescrits par le médecin dans un verre d’eau et je filai prendre une douche bien chaude. J’enfilai mes vêtements, un jeans foncé et une chemise noire, et je pris mon petit-déjeuner dans le café pas loin de chez moi. Je retournai enfin dans mon habitat et je pris quelques affaires. J’avais promis à Adam que je passerai le voir, mais j’avais encore un peu de travail. Une mélodie me restait dans la tête et je voulais absolument la reproduire. Arrivant chez le Colonel, visiblement absent, je me retrouvai avec Adam pendant quelques instants et, finalement, je me mis à travailler en lui promettant de ne pas être trop long. Bien entendu, je perdis la notion du temps lorsque je me mis à l’œuvre. Les notes s’élevaient doucement dans les airs, tandis que je fredonnai de ma voix la mélodie triste qui me venait à l’esprit. De temps en temps, je griffonnais sur mes feuilles les notes utilisées, modifiées, ou encore les mots qui colleraient à mon état d’esprit. C’était une chanson que je composais pour Amber ; bien malgré moi. Son souvenir restait encré en moi et je ne savais pas m’en défaire. Je tapotais mon crayon sur ma bouche, tandis que je songeais aux paroles. C’est à ce moment-là que mon frère, allongé sur le divan, manifesta ses émotions en me lançant un bout de papier. Il regarda le plafond et je lui souris, visiblement concentré sur mon travail, avant de m’y replonger. Sauf que, bien évidemment, Adam en décida autrement.

« Caaaaaam… Je m’ennuie. »

Je relevai ma tête et me mit à rire doucement. J’enlevai le crayon de mes doigts et je posai la guitare sur le côté. Je toisai mon frère droit dans les yeux, en lui souriant avec tendresse. Adam avait une place particulière dans mon cœur. C’était mon frère ; surtout mon petit frère, en fait. J’aimais espérer que je serais capable de le protéger envers et contre tout. Douce illusion, c’était certain. Mais j’essayais de faire au mieux, malgré tout. Surtout que nous n’avions pas des parents formidables.

« Et tu voudrais faire quoi pour remédier à ce problème, DamDam ? »

Dis-je en lui souriant d’avantage. Je craignais les idées farfelues de mon frère. Il était plus casse-cou que moi, ressemblant d’avantage à Elias. Adam avait hérité des traits de caractère de chacun de nous deux mélangés. Aussi jeune soit-il, j’étais persuadé qu’il comprenait plus de choses qu’il ne voulait se l’avouer. Certainement, même, que je n’étais pas au courant de tout dans sa vie. Après tout, nous avions tous nos jardins secrets ; Comme Elias et la grossesse de cette femme qui donna la vie à leurs jumeaux. En repensant à mon jumeau, je me sentis étrangement triste. Toutefois, je ne tenais pas à en parler. Je préférais me plonger dans le travail pour l’instant, en espérant que tout s’arrangerait avec le temps.

« On a tous des secrets bien gardés. »

Lorsque j'écrivais, ou composait des mélodies, j'oubliais peu à peu le monde réel ; celui dans lequel je vivais. Pas parce que je haïssais cette vie, non. Je n'étais pas suicidaire pour autant. Seulement, je me sentais effroyablement seul et éloigné de tout. Même si je respirais et parlais, je me sentais comme un automate. Une autre personne. Depuis l'accident, plus rien n'était pareil. Comme si mon âme avait changé, bouleversé par la perte d'Amber et la protection acharnée de mes frères. Quatre mois dans le coma. J'aurais pu y rester ; mourir sur le coup. Comme elle. Mais non, le sort en avait décidé autrement. J'étais encore doté d'un semblant de vie. Réveillé par les mots d'Adam, je sortis de mes pensées. Il s'ennuyait parce que je ne m'occupais pas de lui. Ce n'était pas de l'égoïsme ; mais je comprenais sa réaction. Je n'étais pas le meilleur des grands frères en ce moment. Sourire aux coins des lèvres, je questionnai mon petit frère sur ses intentions.

« Que tu t’occupe de moi. »

« Tu marques un point. Désolé... »

J'affichai un sourire désolé ; le remord s'empara de moi. C'est vrai qu'Adam méritait d'avoir de l'attention. Il s'était montré patient avec moi et prévenant. Il me téléphonait bien plus régulièrement que n'importe qui, même Elias. Ce n'était pas normal, en y songeant. Je devais me montrer plus attentif à lui. J'étais sûr, au fond de moi, qu'il avait besoin de ses frères aînés. Mais il n'en parlait pas. Adam était devenu comme nous ; il ne voulait pas inquiéter les membres de la famille. Ca m'attristait ; parce que, du coup, on ne ressemblait plus à une famille. On se surprotégeait au point de laisser les autres de côté. Je détestais cette situation.

« Viens suis-moi. »

Intrigué, je me redressai du canapé sur lequel j'étais assis pour suivre mon petit frère. Je lui emboîtai le pas et nous montâmes à l'étage, jusque devant la porte de ma chambre. Je ne compris pas, mais je restai silencieux. Il ouvrit et nous entrâmes dans ce qui me servait de refuge. Les meubles étaient les mêmes ; rien n'avait réellement changé. Je n'avais emporté que quelques affaires pour ma propre villa. Avec l'argent des chansons, je m'en sortais bien tout seul. Parfois, je me demandais si le Colonel était fier de nous. Certainement qu'il ne l'aurait pas toujours été, en sachant certaine vérité. Pourtant, j'espérais qu'il l'avait été de temps à autre. Difficile à dire, il n'était pas du genre à exprimer ses sentiments. Comme Elias, en somme.

« C’est pour toi. C’est ton cadeau de noël. J’espère que ça te plaira. »

Je regardai alors devant moi et vis un carton posé sur le lit que j'avais occupé durant la majeure partie de ma vie. Touché par cette attention, je sentis les larmes me monter. Mon regard se posa sur mon petit frère, et je ne pus que sourire tendrement à ce cadeau, sans avoir encore eu l'opportunité de l'ouvrir. Je m'assis alors à côté du carton, que je pris soin d'ouvrir avec une grande délicatesse ; comme souvent. J'avais toujours été très soigneux avec les emballages - ce qui pouvait être futile aux yeux des autres. Je découvris alors une magnifique sacoche, qui me spécifia qu'il y avait autre chose dedans, et un coffret bien être. Je redressai mon regard sur Adam, qui prit la parole, assis sur ma chaise de bureau.

« Tu pourras aller sur leur site et choisir la formule qui te plairas le plus. »

Emu, je lui souris tendrement avant de me redresser et de me diriger vers lui. Je pris Adam dans mes bras, afin de le remercier. Parce qu'il avait cru en moi, en mon réveil. Il avait espéré qu'il puisse m'offrir ce cadeau suffisamment pour l'acheter. Je n'avais rien reçu de plus beau depuis ce jour.

« Merci petit frère. Ca me touche... »

Je restai quelques secondes contre lui, avant de me détacher en lui souriant, les larmes aux yeux. Je me redressai lentement avant de regarder la chambre vide autours de nous. Je me souvenais quand j'étais jeune, guitare à la main, seul dans mon univers. Je souris de plus belle et, machinalement, je me retournai vers mon frère.

« Je reviens. »

Je filai quelques instants dans la salle de bain la plus proche, car je sentais les larmes me monter et les émotions me prenaient suffisamment les tripes, il fallait donc que je me rince le visage et reprenne mes esprits. Ces temps, j'étais assez fragile et je le savais.

« On a tous des secrets bien gardés. »

Je passai l'eau fraîche sur mon visage. Cela me fit un certain bien, ne serait-ce que d'entendre l'eau couler avec avidité dans le lavabo. Je n'acceptais plus le silence comme auparavant. Les nuitées me paraissaient longues, tristes et semblables à chaque instant. Les larmes se noyèrent le long de mes joues, touché par les attentions de mon cadet. Bon sang ! Depuis quand avait-il autant grandi ? C'est un sourire nerveux qui s'afficha sur mes lèvres, tandis que mon regard se redressa sur la glace. J'avais mauvaise mine. Ca ne changeait pas de ces derniers mois passés à lutter contre la douleur. C'était toujours la même souffrance, physique ou psychologique. Même si je ne disais rien, Adam pouvait lire en moi. Après tout, on se connaissait bien. Du moins, je me bornais à l'espérer suffisamment pour y croire. Reprenant ma respiration et effaçant les larmes d'un revers de ma main, je repassai de l'eau sur mon visage. Je crûs entendre mon frère m'appeler. J'arrêtai alors l'eau et écoutai attentivement. En effet, il m'appelait.

« Cam ! »

« J'arrive ! »

Surpris par l'intonation, j'attrapai rapidement une serviette pour m'essuyer le visage et me fixai encore dans la glace quelques secondes. Ouais, ce n'était pas du joli joli, mais peu importe. Rapidement, je sortis de la salle de bain et refermai la porte, avant d'entrer dans ce qu'il restait de ma chambre d'adolescent et de jeune adulte. Un endroit où j'avais passé de bons et de mauvais moments. Mes yeux croisèrent ceux d'Adam, qui n'était visiblement pas content.

« Tu veux t’expliquer? »

Demanda-t-il en agitant un bout de papier. J'arquai un sourcil, au début, ne comprenant pas de quoi il s'agissait. Je fis quelques pas pour me rendre compte qu'il tenait une photographie. Et pas n'importe laquelle ! Surpris, je mis automatiquement ma main dans la poche arrière de mon pantalon. Elle était tombée et il avait dû la ramasser. Soudain, la honte s'empara de moi et je ne pus que soupirer de mal aise. Je passai une main sur ma bouche, avant de la laisser retomber. Mes yeux se baissèrent.

« Ah, ça... »

Je déglutis difficilement avant de soupirer à nouveau. Que pouvais-je lui dire, si ce n'est la vérité ? Après un moment d'hésitation, je m'assis à côté de lui et je pris la photographie entre mes doigts, l'admirant avec une certaine retraite ; mais les émotions étaient palpables. J'étais avec un garçon, entrain de l'embrasser.

« Il s'appelle Ezequiel. C'était mon... Enfin... Bref. Oui, c'était mon petit-ami au lycée. Mon premier amour homosexuel, en fait... »

Soufflai-je doucement, avouant quelque chose dont je n'avais jamais parlé et dont personne ne pouvait se douter ou être au courant. Je regardai une fois encore le jeune homme sur la photographie ; honteux vis-à-vis de mon frère homosexuel à qui je n'avais jamais osé en parler. La bisexualité était un tabou. Par lâcheté, je n'avais jamais su dire que j'avais également ce côté homosexuel en moi. C'était pourtant plus facile d'admettre une bisexualité qu'une homosexualité. Toutefois, on pouvait aussi le cacher plus facilement. Adam n'avait pas eu cette opportunité. Je me sentis alors encore plus gêné de n'avoir rien dit durant tout ce temps. Je n'osais pas affronter le regard de mon petit frère, espérant qu'il ne réagisse pas trop mal...

« On a tous des secrets bien gardés. »

A la réaction d’Adam, je compris que l’heure des règlements de compte avait sonné pour ma petite personne ; si lâche et si faible. Ses yeux, sa mâchoire, sa distance... Tout indiquait qu’il était très en colère contre moi ; contre ce secret inavoué. Oh, je ne pouvais pas lui en vouloir. Presque vingt-sept ans que je vivais sur cette Planète bleue et je n’en n’avais jamais parlé à qui que ce soit. Sauf les principaux concernés, à savoir mes petits-amis ou les amourettes de passage. Mettre au courant mon entourage n’était pas une bonne chose à mes yeux. Pour la simple et bonne raison que je n’y parvenais pas. Ce n’était jamais le bon moment. Chacun d’entre nous avait ses problèmes, ses inquiétudes, et je n’arrivais pas à leur dire que, moi aussi, je connaissais une part d’homosexualité en moi. Mais reculer était trop tard, désormais, et je devais affronter la colère de mon cadet, debout devant moi.

« Et pendant toute cette putain d’année qui a passé, t’as pas été capable de me le dire ? »

Il parlait des quatre mois avant l’accident ou après ? Enfin, là n’était pas l’important. Je ne le lâchais pas des yeux. Bien sûr que si, j’avais pensé à le dire. Mais en être capable était une autre tâche devant laquelle j’avais baissé les bras en voyant les nombreux problèmes familiaux. Et puis, au fond, cela ne changeait rien à la personne que j’étais. D’autant qu’aucun des garçons que je fréquentais n’avait fait la connaissance de l’un ou l’autre membre de ma famille. Une fois de plus, je comprenais la réaction d’Adam. Après tout, il avait été soumis au jugement familiale, lui. Il avait eu le cran de l’avouer. Toutefois, je n’étais pas homosexuel, mais bisexuel. C’était plus facile pour moi de ne rien dire. D’autant que mes relations sérieuses, au point de présenter à la famille, étaient peu nombreuses.

« T’as pas pensé qu’il était peut être temps de le dire quand ton petit frère vous a avoué son homosexualité ? Où le faire par la suite ? »

Je détestais le sourire forcé qu’il arborait en disant cette phrase. Toutefois, je me faisais violence en regardant droit dans les yeux mon petit frère, pensif. Comme d’ordinaire, je ne disais rien. Je préférais me taire, ne rien avouer. Je me remémorais la tête d’Elias lorsque Adam a avoué son homosexualité. Cela avait mis un frein à mes ardeurs quant à avouer l’inavouable. Je me sentais plutôt mal. Toutefois, après mon accident, j’avais eu d’autres chats à fouetter que d’avouer que j’étais bisexuel à ma famille. Entre l’overdose d’Adam, ma rééducation, le club et les jumeaux d’Elias, c’était devenu le cadet de mes soucis ; aucune priorité là-dessus. J’aurais pu, plusieurs fois, le dire. Mais non. Je n’y pensais même pas. Le dissimuler était devenu tellement naturel pour moi.

« Tu sais quoi ? Laisse tomber, j’ai même pas envie de savoir. Et t’inquiète, je ne dirais rien à ton frère »

Dit-il en reculant d’un pas avant de disparaître de mon champ de vision. Je pus enfin soupirer pleinement et regarder la photographie entre mes doigts. A cette époque, je jouais de la guitare devant les copains. On se racontait des vannes et on oubliait tout en riant aux éclats près de la rivière. Et puis, j’étais en couple avec Ezequiel ; un secret bien gardé par nos amis les plus proches qui formaient une bande intéressante. Je souris, malgré moi, en replongeant dans mes souvenirs. J’étais bien dans ma peau, équilibré, heureux. Il était une raison de respirer pour moi, comme mes frères. Puis, il a disparu. Jamais un mot ou une lettre. Un matin, il n’était plus au lycée. Le rêve avait volé en éclats et je m’étais retrouvé seul dans la bande. Je n’en ai jamais reparlé, même pas avec les copains. Je préférais oublier ; effacer les mots de mon esprit. Comme c’était le cas dès aujourd’hui avec Adam.

Bien sûr, j’étais attristé par la scène qui venait de se dérouler sous mes yeux. Voir mon petit frère m’en vouloir était une simple horreur pour moi, ce qui ne fit que me rendre plus malheureux encore que je ne l’étais. Je repliai alors le morceau de papier usé, que j’enfilai dans la poche arrière de mon jean ; un goût amer reprit le pas dans ma gorge et remonta dans ma bouche. Je toisai alors la chambre autour de moi et n’y voyais plus rien que les ombres du passé. Décidément, rien n’allait bien ces jours. Fatigué, vidé, épuisé émotionnellement par les derniers événements, je sortis la boîte de cachets de mon pantalon et avalai une pilule sans eau. Et celle-ci n’avait rien à voir avec celles prises pour mes douleurs physiques. Il s’agissait d’un antidépresseur, prescrit par mon médecin traitant. Je fermai les yeux alors quelques secondes, lançant ma tête en arrière, respirant calmement. Non, je n’avais pas l’intention de le dire. Ni à Elias, ni au Colonel. A personne.

Je me redressai alors sur mes deux jambes, las de toutes les tristesses qui habitaient encore les murs de la villa familiale. Quand aurais-je pu leur dire ? Lorsqu’Adam avait annoncé son homosexualité ? Je n’avais pas réussi ; je ne voulais pas envenimer la colère de la famille. Après l’accident ? J’étais effondré. Depuis quatre mois ? On avait enchaîné les problèmes. De plus, je ne savais pas que cette information pouvait s’avérer capitale pour qui que ce soit. J’étais désolé pour Adam. J’aurais aimé le lui dire de vive voix. Dans d’autres circonstances. Mais je ne trouvais jamais le moment propice à tout ça. Et je ne pouvais pas l’annoncer « comme ça », au milieu de deux phrases.

Finalement, je décidai de m’en aller. Adam avait besoin de respirer et je ne voulais pas empirer les problèmes. Les explications attendront, malheureusement. Nous en avions probablement besoin tous les deux. D’ici-là, je le laisserai tranquille ; en espérant qu’il puisse me pardonner un jour de lui avoir « caché » cette vérité troublante. Je redescendis les escaliers pour me trouver au rez-de-chaussée. Il n’était pas là. Poussant un énième soupire, j’empoignai mon téléphone portable et téléphonai à l’agence de taxi. Un véhicule viendrait d’ici à dix minutes, tout au plus. Je me dirigeai alors vers la porte principale et je sortis dans l’allée extérieure ; devant la villa. J’attendais qu’on vienne me ramener chez moi, las de tout ça. Epuisé, moralement.