Peut-on faire rire un androïde ? (Pv Aaron N. Carter)
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Sujet: Peut-on faire rire un androïde ? (Pv Aaron N. Carter) Jeu 20 Juin - 19:37
Peut-on faire rire un androïde ?
Franchement, ça n'avait pas été facile de trouver l'immeuble. En même temps, même si on avait ponctué mon chemin de flèches indicatrices, j'aurais sûrement peiné à m'orienter. Je n'étais pas de celles qui ont le sens de l'orientation inné. D'ailleurs, je me demandais bien ce que j'avais d'inné, hormis une propension certaine à faire des erreurs...
Et pour ne pas mentir, les grosses villes me flanquent les jetons. Un comble d'être née en Californie ... Seulement voilà, j'ai passé la majorité de ma vie enfermée. Il n'était pas possible de se perdre du chemin séparant le salon de la cuisine ou de ma chambre. En plus je n'étais jamais prise par le temps.
Désormais j'étais quelqu'un de ... comment on dit " normal " ? J'avais même une apparence humaine, puisque autrefois j'étais plutôt une sorte d'éléphant de mer. Cela me fit sourire puis je ravalais cette expression en sortant de ma voiture. Je n'aimais pas sortir, être en ville, croiser des visages et des regards. J'étais terrifiée à l'idée qu'on remarque ... qu'on me remarque. Mais cette peur n'était que résiduelle. Très vite je prenais conscience que désormais je n'avais plus à avoir honte. Au pire je passais inaperçue, ce qui était la merveille des merveille pour une fille comme moi. J'avais déposé ma voiture un peu trop tôt, sur un parking, et remontais désormais l'avenue à pied vers le bâtiment que j'avais remarqué. J'aurais pu accéder à son parking privé, après tout je venais, en quelque sorte " pour affaire " mais c'est l'ancienne éléphante de mer, lâchée dans la jungle humaine, qui avait paniqué et décrété qu'on garerait la voiture là. Il allait falloir que je prenne le dessus une bonne fois pour toute sur cette ancienne moi. Sinon, les gens ne verraient jamais en moi que l'ancienne grosse. Parler, penser et regarder timidement son prochain comme une obèse n'était pas vendeur. Sur cette pensée encourageante, je redressais la tête et bombais légèrement le torse. Non mais oh, j'étais quelqu'un d'autre désormais. Et j'avais même une carrière. Qui eût crut que mon amour du sport eût pu me mener là ! Je levais les yeux vers l'immense bâtiment dont les vitres étincelaient sous le soleil de début d'après-midi. Voilà le genre d'endroit que je n'aurais jamais cru approcher. Ce genre d'endroit où ne défile que des humains tirés à quatre épingles avec des mallettes. Je n'avais pas encore cette apparence pourtant, dans mon jogging moulant noir avec ma petite veste blouson, mes belles baskets (flambant neuves s'il vous plait) et mon sac de sport sur l'épaule. Oui, je n'avais pas le profil, mais sérieux : heureusement ! Le monde des affaires - trop peu pour moi ! Et le monde du cinéma que fréquentait l'autre partie de ma famille me déplaisait encore plus. En me battant pour entrer par la porte tambours j'aperçus mon reflet, dont ma queue de cheval qui battait dynamiquement sur mon dos. La fille mince qui s'échinait assez maladroitement à rentrer ... c'était moi. Difficile d'y croire, je n'étais pas encore habituée. Le hall était immense et je fis mon possible pour paraitre naturelle. On aurait dit une gamine se croyant à la salle de sport et toujours pas consciente de son erreur. Je m'approchais de l'accueil, placée impétueusement loin de l'entrée, et affichais mon sourire le plus naturel en me présentant.
J'avais rendez-vous avec une femme d'affaire qui souhaitait faire du sport sur son lieu de travail même. C'était courant apparemment que les plus riches sociétés proposent même des salles de sport privée à leur personnel, histoire qu'ils aient envie de passer un max de temps sur le lieu de travail. Perso, l'idée d'être l'associé du diable et de faire du sport entre ses murs ne m'aurait pas séduite. Mais j'étais hypocrite sur le coup : je venais bien jusqu'ici pour faire mon beurre. La fille de l'accueil m'annonça par téléphone et m'indiqua le numéro de l'étage et du bureau où on m'attendait. Mon cœur s'emballa tandis que je la remerciais. Avec ma chance j'allais me perdre c'était clair. Je décidais de m'enfoncer néanmoins dans les entrailles de l’immeuble. À quand l'instant où le masque allait tomber et je ne serais plus en mesure de jouer à la fille dynamique et sans soucis ?
Je m'arrêtais aux pieds de l'un des cinq ascenseurs aux portes trop grandes, appuyais sur le gros bouton en hâte de pouvoir m'engouffrer cinq minutes dans la solitude. Rien de tel qu'une petite pièce pour respirer et se recomposer un visage serein. Bon j'avoue, je n'aimais pas du tout les cages d'ascenseurs. Je n'en avais pris que très récemment pour la bonne et simple raison qu'autrefois je ne sortais pas suffisamment pour en avoir l'occasion, et également parce que j'évitais expressément ce mode de déplacement. Quand j'étais en surpoids il ne me fallait pas grand chose pour ne plus pouvoir respirer. Et puis, au moindre problème, les autres usagers se tournent toujours vers la grosse de service qui est forcément à l'origine de la défaillance mécanique. Mais cette fois c'était différent, j'allais m'envoler vers les sphères du building, seule, légère comme une plume, la quiétude restaurée par cet instant de répit. Les portes s'ouvrirent béantes, je rentrais la tête haute.
Malheureusement pour moi, je sentis que quelqu'un s’engouffrait derrière moi. Je me retournais, prenant soin d'aller me placer dans un coin pour saluer le nouvel arrivant. Je fus plus capable d'un vague signe de tête que de dire bonjour. Du moins, mes lèvres avaient bien formulé le mot, mais suffisamment timidement pour que le bruit des portes qui se refermaient sur l'inconnu en étouffe le son. C'était un homme d'affaire bien entendu, en costume. Je ne me permit de le regarder qu'un quart de seconde, de façon un peu plus courte que la politesse élémentaire ne le suggère, ensuite, j'allais aussitôt écraser le bouton de mon étage, un peu plus violemment que nécessaire.
Bien entendu il ne pouvait pas être gros, bedonnant et peu appétissant, non, il fallait qu'il soit jeune et canon. D'accord, en si peu de temps ça paraissait difficile de croire que j'avais pu le remarquer, mais j'étais assez entrainée pour reconnaitre la beauté là où elle se trouvait. Quand on a passé toute sa vie enfermée, on avale, on aspire et on se délecte des moindres miettes de beauté masculine qu'on rencontre. Mais honnêtement, j'ai toujours détesté les gens beaux. Déjà parce que je sais aussitôt comment ils me regardent : comme une erreur de la nature. Même si mon physique a changé, je n'ai pas oublié ... Et quand aujourd'hui on me regarde avec intérêt je n'éprouve que du dégoût. Et puis les gens beaux sont dangereux. C'était la raison la plus importante. Mais mon invité surprise de l’ascenseur ne serait pas dangereux pour moi. Il oublierait mon existence dès que l’ascenseur s’ébranlerait, en admettant qu'il s'était rendu compte de ma présence. Pas moi bien entendu. Son odeur s'était répandue partout, il sentait très bon bien entendu. J'avais baissé les yeux vers les portes que je fixais. La cage était assez grande pour me tenir le plus loin possible de mon ... heu "co-passager" ? J'essayais de penser à autre chose. Allez ça n'allait pas être difficile, je serais enfermée avec un Dorian Gray glacial, allez quoi ... heu deux minutes grands maximum, le temps que mon étage soit atteint...
Peut-on faire rire un androïde ? (Pv Aaron N. Carter)